Entretien avec Louise Thunin
Matthieu Gosztola : Vous venez de faire paraître Cœurs et blessures aux éditions L’Harmattan (82 p, 11,50 €).
Ce livre est né d’un drame. Pouvez-vous revenir sur ce « fait » qui a marqué les journaux, les consciences, et face auquel vous avez été amenée à porter un regard différent, profondément humain ?
Louise Thunin : En 2009, une petite fille martyrisée par ses parents est morte. Son corps est retrouvé dans une jardinière, enterrée sous une dalle de béton. Les auteurs, le père et la mère de la fillette, ont dû répondre de leurs actes devant la Justice en 2012. Des drames étrangement similaires ont suivi au cours de 2012-2013, comme la répétition douloureuse d’une histoire déjà entendue, comme une leçon non encore apprise et dont l’intitulé semble devoir s’étaler en majuscules dans les pages de nos quotidiens comme dans les cieux de notre conscience collective.
Le regard que je porte sur la première de ces affaires est celui de l’aumônier de prison (je suis missionnée par l’Eglise réformée) qui accompagne le père de famille pendant une petite année, avant et après son procès : une année de gestation pour lui comme pour moi. Je veux parler de gestation spirituelle, de cheminement intérieur vers une conscience d’abord prise, puis ouverte, déployée.
Matthieu Gosztola : La forme du livre est singulière, le plaçant à mi-chemin du roman et de la poésie – et jamais ce dernier mot ne s’absente de l’ensemble du déploiement de l’ouvrage. Comment s’est opérée la cristallisation de cette forme ? En quoi exhausse-t-elle le cri de douleur, d’amour et de compassion que vous confiez au lecteur, page après page ?
Louise Thunin : Cette forme mi-prose mi-poésie s’est imposée d’elle-même. Impossible de me situer au niveau purement factuel (je n’étais pas qualifiée), ni de présenter une analyse psychologique pure et simple. Tels n’étaient pas mes buts. Je ne recherchais surtout pas le sensationnel dont nous étions tous déjà abreuvés.
Sans l’aspect poétique, mon regard et celui de mon lecteur ne pourraient s’élever. Images et métaphores se profilaient devant mon œil intérieur et je les transcrivais. En même temps j’avais un narratif à dérouler. Je me projette tour à tour dans chacun des personnages (père, mère, fillette, aumônier) et en dévoile ce qui pouvait être leur pensée. Il y a une part de fiction, de reconstitution dans mon écrit. Je ne peux répondre que de ma propre voix. Ceci dit, je suis éminemment sensible à la souffrance du père dont les yeux s’ouvraient progressivement sur les événements et sur lui-même, grâce peut-être à l’écoute compassionnelle que je lui offrais.
Matthieu Gosztola : Ce « cri » que j’évoquais lors de la précédente question est éminemment personnel. Il est tout entier imprégné de votre intériorité, de votre expérience d’aumônier, mais aussi, plus amplement, de la façon dont la vie résonne en vous. Mais, dans le même temps, ce « cri » ouvre à l’universalité. Au partage, à l’abandon. Il est don, pleinement. Et c’est justement, me semble-t-il, parce qu’il atteint la singularité la plus nue qu’il peut permettre que se fasse un réel partage (de vision, de ressenti, de rêve…) avec le lecteur… Pouvez-vous revenir sur cette idée, et nous confier en quoi elle est également présente, fortement, dans vos autres ouvrages ?
Louise Thunin : Un enfant blessé nous habite tous au plus intime. Ainsi, pour le dire, l’expression « coups et blessures » devient, dans mon titre, Cœurs et Blessures.
L’universalité de la blessure du cœur peut expliquer la passion que cet événement a suscitée dans le public : les marches blanches, la prolifération de pages web consacrées à la petite. Je crois cependant que nous avons à guérir l’archétype de victime qui marque notre humanité et qui nous fait abandonner notre pouvoir aux mains de ceux qui (croyons-nous) nous ont agressés.
Nous n’y arriverons qu’à condition d’oser le pardon, qui consiste non pas à passer l’éponge mais à lâcher-prise de notre souffrance. Il est illusoire de penser que le bouc émissaire guérit le groupe qui prétend projeter sur lui la dysharmonie des relations. Seul un changement de regard sur « l’autre » (qui n’est jamais qu’un autre visage de nous-mêmes), et la reconnaissance de notre propre part d’ombre (disons absence de lumière) pourront amener à l’élévation de la conscience dont dépend l’évolution de notre humanité.
Dans Christ en cabane, autre ouvrage dédié à mon expérience dans le milieu carcéral, je redis ma foi en l’homme, capable de retrouver, s’il y est aidé, son Identité profonde où brillera toujours une étincelle de sa Source.
Mené par Matthieu Gosztola
Cœurs et blessures aux éditions L’Harmattan (82 p, 11,50 €).
Préface de Matthieu Gosztola
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