Entretien avec Cécilia Dutter - Conseils de séduction à l’usage des hommes de mauvaise volonté
D’ordinaire, Cécilia Dutter écrit des ouvrages sérieux. On lui doit, entre autres, un magnifique essai, Etty Hillesum, une voix dans la nuit (Robert Laffont, 2010), les romans Lame de fond (Albin Michel), prix Oulmont de la Fondation de France. Elle a récemment dirigé pour les éditions Salvator la publication de l’œuvre collective Un cœur universel, regards croisés sur Etty Hillesum. Mais elle a décidé de donner cette fois-ci dans la légèreté, puisqu’elle nous revient avec un guide pratique de séduction à l’usage des messieurs maladroits et de mauvaise volonté. Et force est de constater que Cécilia Dutter fait mouche aussi bien dans l’humour que dans la réflexion. Elle mêle d’ailleurs habilement les deux dans ce guide érudit, qui permettra à chacun de trouver sa chacune.
Laurent Bettoni : Comment passe-t-on d’Etty Hillesum aux conseils de séduction ?
Cécilia Dutter : Vous savez, avant d’être la grande mystique que l’on connaît, Etty Hillesum était une impénitente séductrice, donc vous voyez que je reste dans mon sujet… Mais pour répondre à votre question, je dirais qu’à mon sens rien n’empêche un auteur de passer d’un essai sérieux ou d’un roman grave à un ouvrage plus léger. On peut d’ailleurs traiter de sujets graves sur un ton humoristique. La caricature est un miroir grossissant qui permet de dire beaucoup de choses et dans le meilleur des cas de faire réfléchir. Le genre littéraire n’est qu’un instrument au service de ce qu’un auteur a envie de dire.
Dans votre livre, vous vous adressez donc aux hommes de mauvaise volonté. Doit-on en déduire que ces derniers sont majoritaires ?
Heureusement que non ! La plupart sont d’excellente volonté, mais je m’adresse ici aux « affreux jojos » que toute femme a rencontrés un jour ou l’autre sur sa route, car l’ouvrage se veut une satire de la valse amoureuse. Les « gentils n’y ont pas leur place.
Vous brossez sept grands profils d’hommes. Pensez-vous que l’on puisse classer les hommes dans des catégories ?
Non, bien sûr ce serait trop simple… Mais il y a tout de même quelques dominantes… Je dresse en effet sept grands profils (les tyrans, les cocus et infidèles, les tristes sires, les romantico-mystiques, les perturbés érotiques, les peureux et les gentilshommes sur le retour) parmi lesquels je croque une vingtaine de portraits. À chacun, je donne des conseils pour ravir le cœur de celles qu’ils affligent, gageant qu’à tout vice, toute turpitude, correspond, consciemment ou non, une amatrice. Tout l’art est donc de bien savoir choisir sa moitié !
Vous ouvrez le livre sur les conseils aux tyrans. Est-ce à dire que vous allez du plus récalcitrant au plus facile à convaincre, ou l’ordre est-il totalement aléatoire ?
J’ai commencé par les plus méchants… parce que je suis moi-même affreusement perverse, comme vous l’imaginez… Trêve de plaisanterie, l’ordre est aléatoire. Certains portraits sont plus sympathiques que d’autres. « Le poète évanescent », « le Cupidon-phobique » ou même « le priapique triomphant » sont évidemment plus aimables que « le pervers narcissique », « l’ego sapiens » ou encore « le petit monsieur » qui, pour obtenir les faveurs d’une dame, entend monnayer ses services.
Vos conseils rappellent implicitement les courriers du cœur, car ils répondent habilement à des demandes plus sérieuses qu’il y paraît. Vous êtes-vous sentie proche de Macha Béranger, Brigitte Lahaie ou du Dr Ruth en écrivant ce livre ? Votre mission était-elle la leur, d’ailleurs ?
Mon idée était de faire rire en mettant en lumière la dynamique tortueuse de la relation amoureuse. Freud la résumait ainsi : « Le couple, ce sont deux névroses qui s’emboîtent ». J’ai souhaité m’emparer de ce constat implacable mais désopilant pour l’exploiter littérairement. J’explique à chaque homme comment exceller dans l’art de séduire en exaltant le pire… et à quelle femme il aurait intérêt à s’adresser en fonction de son vice ou de son défaut. Vous aurez compris que nous nous trouvons davantage dans le domaine de la farce que dans celui du conseil conjugal et qu’on est très loin du discours convenable et convenu sur la question. Cela étant, chaque portrait écrit, dans un classicisme volontairement décalé, s’apparente à une petite fable dont la morale ne serait pas toujours bonne à dire mais… peut-être à lire et à entendre.
En vous lisant, on ne peut s’empêcher d’entendre, en toile de fond, la chanson de Juliette Gréco, « Déshabillez-moi », dans laquelle une femme donne elle aussi des conseils à son amant. Croyez-vous que les femmes intimident les hommes ?
Oui, il y a un peu de cette chanson dans ce livre, vous avez raison. Mais dans mon cas, ce serait une déclaration d’amour un tantinet acide, tout de même ! Plutôt que Déshabillez-moi, je diraisDéshabillons-nous, car c’est un ouvrage qui décode le couple. Je ne sais qui intimide l’autre mais nous n’aurons jamais fini de gloser sur le grand malentendu qui sous-tend les rapports masculin-féminin.
Comment ont réagi les hommes qui ont lu votre guide ? Et les femmes ?
Les hommes ont beaucoup d’humour. Ces portraits très citronnés les font rire. Je n’ai aucun compte à régler avec eux, au contraire, je les adore ! Ils l’ont bien compris, tout comme ils constatent que je dessine également les femmes en creux, car la séduction est un jeu auquel ces dernières prennent complètement part en rebondissant sur les travers de leur moitié. Encore une fois, l’idée est de montrer qu’à chacun correspond sa chacune. Hommes et femmes se reconnaissent et rient de bon cœur de leurs travers communs.
Pensez-vous qu’un guide inverse, des conseils de séduction donnés aux femmes de mauvaise volonté par un homme instruit, serait utile ?
Très utile, et je pense le plus sérieusement du monde à l’écrire !
Laurent Bettoni
Publications de Cécilia Dutter :
Une présence incertaine, roman, Thélès, 2005
Des échappées belles, nouvelles, Le Cercle, 2006, et Le Cercle Poche 2007
Un baiser, nouvelles, Swarovski, 2007
La Dame de ses pensées, roman, Ramsay, 2008
Etty Hillesum, une voix dans la nuit, essai, Robert Laffont, 2010
Camille Laurens, ouvrage collectif, essai, Léo Scheer, « Écrivains d’Aujourd’hui », 2011
Et que le désir soit, essai coécrit avec Joël Schmidt, Desclée de Brouwer, « Littérature ouverte », 2011
Lame de fond, roman, Albin Michel, 2012
Savannah Dream, roman, Albin Michel, 2013
Un cœur universel, regards croisés sur Etty Hillesum, ouvrage collectif publié sous la direction de Cécilia Dutter, Salvator, 2013
Livres secrets, ouvrage collectif, Le Castor Astral, 2014, « L’Atelier imaginaire »
Conseils de séduction à l’usage des hommes de mauvaise volonté, guide, éditions du Rocher, 2015
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