Entre deux gares, Lionel Seppoloni (par Philippe Leuckx)
Entre deux gares, Lionel Seppoloni, éditions La Chambre d’échos, mars 2023, 164 pages, 16 €
Et si, grâce au train, on voyait mieux et plus vite, et si on assistait à des fulgurances.
Les pensées ferroviaires d’un jeune auteur, né en 1975.
A force de regarder par la vitre, l’écrivain se fait ethnographe et repère dans les vies ordinaires ou mal accordées les pulsations du réel, ainsi ces voix haineuses d’une bande de jeunes dans un train de banlieue.
Le calme des paysages est parfois ébréché par des notations plus mélancoliques ou plus amères sur ce qui a été perdu, de l’enfance, de la mère malade.
Un vrai regard donc, aigu, pointant les reliefs (au sens double du terme – saillies et déchets) du vécu.
C’est un sixième livre pour cet auteur qui publie depuis 1996. Déjà un premier livre au titre révélateur, marquant l’espace et la distance – littéraire – vécue : D’un hiver à un autre.
Les paysages, découverts à contresens de la marche, défilent, telle une vie, avec ses laideurs (l’auteur n’aime guère tags et graffitis), ses surprises, ses beautés.
Sans cesse, l’auteur observe ses semblables pris aux rets de la distraction et du sommeil, pointant leur beauté, leur grosseur, leur tendresse.
Les petits billets, d’une page à quatre ou cinq, toujours datés, déroulent la vie, chronologiquement, comme si prendre le train pouvait, au bout du feutre des carnets, la ralentir, la mesurer, la rendre plus belle peut-être. Un art, insigne, du détail, relaie le moindre regard vers les rails, les arbres, les gens : un art pointilliste, sans doute, qui vise à recueillir le réel, presque sans interposition, dans la coulure lente des choses.
On est ainsi témoin d’une vie, passée à observer, voir, analyser ; on est devant ce rectangle mouvant qui nous donne, comme sur un écran, toutes les images possibles. Le journal de l’autre se dévoile, se nourrit, jour après jour, tâche après tâche.
Peut-être sommes-nous toujours entre « deux gares », à attendre l’éventuelle surprise, l’éclat de nouveauté, l’intrusion du beau dans l’ordinaire banal de nos vies ?
Seppoloni est un écrivain fureteur, à l’image de Jacques Réda qu’il cite souvent, un promeneur du réel.
« Un jeune contrôleur demande avec timidité au passager affalé de ne pas mettre ses chaussures sur les sièges ; lui, oreilles bouchées par les écouteurs, n’entend pas, ou fait mine de ne pas entendre, ce jeune homme qui l’appelle “Monsieur”, qui l’implore presque… ».
Récits de départs, de retours, signes de l’enfance ou des paradis perdus, les trajets notent au plus profond les aspirations d’un écrivain fasciné par le rail et ses avalanches d’impressions.
« Voyager en train est une façon douce d’apprendre à disparaître », p.82.
« Tous ces trains à l’arrêt, tous ces trains au départ, ces mouvements arrêtés toujours recommencés », p.147.
Le livre, inépuisable comme une chronique, cite sur la fin plusieurs fois le travail de l’admirable Ozu, qui commençait ou finissait ses films, sur des plans de gares et de rails, comme dans le plus beau film du monde, Voyage à Tokyo (1953).
Philippe Leuckx
Lionel Seppoloni est un auteur français. On lui doit six ouvrages, dont : D’un hiver à un autre (1996), L’éloignement (2014), La route ordinaire (2017).
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