Entre art des fous et art brut, La collection Sainte-Anne
Entre art des fous et art brut, La collection Sainte-Anne, Somogy éditions d’art, Musée d’Art et d’Histoire de l’hôpital Sainte-Anne, 2017, 160 pages, 240 illustrations, 22 €
Cet ouvrage est édité à l’occasion de deux expositions au musée d’Art et d’Histoire de l’hôpital Sainte-Anne – MAHHSA –, successives et complémentaires, qui se donnent à voir sous l’égide d’un très beau titre : Elle était une fois. Acte I : la Collection Sainte-Anne, les origines, présentée du 15 septembre au 26 novembre 2017, et Elle était une fois. Acte II : la Collection Sainte-Anne, autour de 1950, présentée du 30 novembre 2017 au 28 février 2018.
Pourquoi ces expositions ? Cette année, l’hôpital fête ses 150 ans. Voilà – saisie – l’occasion de retracer l’histoire de la Collection Sainte-Anne et de celle du MAHHSA.
Si les œuvres présentées peuvent, à l’instar du cheminement de pensée opéré par Jean Dubuffet, autant nous toucher, c’est parce qu’elles demeurent invariablement, pour qui choisit de les approcher avec son étonnement non pas d’enfant mais de vivant, « support de réflexion quant à l’identité [la dissolution ?] de l’homme qui s’engage dans un processus de création », quel que soit cet homme, qu’il soit défiguré ou non, de l’intérieur sans fond, par le soleil obscur de la maladie.
Sont exposées tant des œuvres d’artistes qui ont « témoigné de la vie asilaire à la fin du XIXesiècle » que des « productions spontanées de malades qui se sont progressivement inscrits dans une démarche – et parfois dans une passion – créatrice ». Sont montrées des œuvres qui, pour certaines, figuraient déjà à l’Exposition internationale d’art psychopathologique de 1950 à Paris.
Mais il est à remarquer que sont réhabilitées de nombreuses œuvres « laissées dans l’oubli, voire dans l’incurie », comme le note Anne-Marie Dubois, – œuvres qui n’avaient été reconnues ni par les tenants de l’art psychopathologique ni par ceux de l’art brut, « en raison de leur style et de leur référence possible à certaines catégories esthétiques ».
Il est heureux que ces œuvres aient fait l’objet d’un sauvetage, tant sur le plan de leur restauration que sur le plan de leur identification, et ce à partir de 1992.
Car en elles, dépassant – faiblement – l’ombre de la souffrance psychique, grandit une lumière, au travers notamment des expérimentations simples d’Aloïse Corbaz (1886-1964) et de Haydée de Carvalho (1925 – ?).
Lumière qui n’est pas sans rappeler Tchouang-tseu et sa lumineuse formule : « La vie de l’homme entre le ciel et la terre est comme un cheval blanc qui franchit une gorge : un éclair ».
Certes, cette lumière n’est pas sœur de celle détaillée par Rousseau dans cette page mémorable des Confessions : « Après le dîner nous fîmes une économie : au lieu de prendre le café qui nous restait du déjeuner, nous le gardâmespour le goûter avec de la crème et des gâteaux qu’elles avaient apportés ; et pour tenir notre appétit en haleine, nous allâmes dans le verger achever notre dessert avec des cerises. Je montai sur l’arbre, et je leur en jetais des bouquets dont elles me rendaient les noyaux à travers les branches. Une fois mademoiselle Galley, avançant son tablier et reculant la tête, se présentait si bien et je visai si juste, que je lui fis tomber un bouquet dans le sein ; et de rire. Je me disais en moi-même : Que mes lèvres ne sont-elles des cerises ! comme je les leur jetterais ainsi de bon cœur ! La journée se passa de cette sorte à folâtrer avec la plus grande liberté, et toujours avec la plus grande décence. Pas un seul mot équivoque, pas une seule plaisanterie hasardée : et cette décence nous ne nous l’imposions point du tout, elle venait toute seule, nous prenions le ton que nous donnaient nos cœurs ».
La lumière des œuvres d’Aloïse Corbaz et de Haydée de Carvalho, discrète, régresse jusqu’à son soleil ; c’est une lueur.
Et de s’éveiller en nous ce souvenir du film de Mia Hansen-Løve, Un amour de jeunesse :
Un architecte, se présentant ainsi à une jeune femme, et à d’autres étudiants : Aujourd’hui, je voudrais parler de la forme d’une chose. Et cette forme, ce serait la lueur.
[…]
La jeune femme : Je suis comme toi, je n’ai aucune nostalgie du passé, j’attends tout de l’avenir. Parce que pour moi ces dernières années, enfin jusqu’à notre rencontre, c’est rien, c’est le néant.[…]
L’architecte : Faut pas raisonner comme ça. À ton âge, rien ne se perd. La vie n’est jamais comme tu l’attends. Ce rapport au monde que tu as fantasmé, il est toujours déjoué. Et c’est à toi de le transformer pour qu’il soit plus profond, plus vrai. C’est comme ça que tu deviendras toi-même.
Être et devenir soi-même, comment, à la lecture de l’ouvrage que nous offrent aujourd’hui les éditions Somogy, ne pas y songer un peu plus, un peu plus profondément, au regard de quelques-unes de ces efflorescences mentales couchées sur le papier, couchées dans cet éblouissement simple et (superbement ?) douloureux qu’est vivre…
Matthieu Gosztola
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