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En roue libre, Tristan Felix (par Philippe Thireau)

Ecrit par Philippe Thireau 13.02.25 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Correspondance, Tarmac Editions

En roue libre, Tristan Felix, Éditions Tarmac, avril 2024, 70 pages, 10 €

Ecrivain(s): Tristan Felix Edition: Tarmac Editions

En roue libre, Tristan Felix (par Philippe Thireau)

Tu peux me répondre

À n’importe quelle adresse

Car le sens s’achemine

Par des voies qui nous échappent

Tristan Felix

Philippe Sollers glisse dans un entretien (1) que « Dada, c’est le triomphe du non-sens opposé au sens falsifié ». Dans le mille ! Tristan Felix, écrivain, clown magnifique, conteuse, s’adresse au monde vertical dans douze lettres décapantes, guillotinées, dadaïstes, lettres expédiées pour la plupart aux instances de la rapidité, de la fonctionnalité, ces instances bouffies qui exigent du quidam qui ose vivre encore, comble de la résistance, de se transformer en e-quidam – vérité algorithmique oblige.

Tristan Felix brise des lances envers et contre tous, au premier chef déplumé desquels la Poste, « dématérialiste » en diable. Aïe ! Ensuite, toujours grimpée sur Rossinante, notre épistolière ne manque pas de pourfendre « Monsieur l’Inspecteur des Finances », imperturbable sourd aux raisonnements du contribuable, ce sous-humain réduit à la fonction d’un tiroir-caisse. Ce contribuable raisonne toujours faux du point de vue du diplômé « Grandes écoles » du sens falsifié. « Monsieur l’Inspecteur des Finances, je ne suis pas un secret d’État mais un tas de secrets que vous ne régulariserez jamais ». Les instances de l’État et autres rouleaux-compresseurs d’âmes reçoivent maintes missives de la part de Tristan Felix, missives agressives, lumineuses, humaines, très humaines. Il ressort de cette correspondance inédite qu’icelles instances manquent d’empathie, ô combien. Madame le directrice de l’EHPAD Les Diamantines, Monsieur la force de l’ordre et dieu (en minuscule) figurent au palmarès. Monsieur la force de l’ordre se voit apostrophé d’un : « Le chaos attire l’ordre, c’est la balance organique et cosmique du vivant – l’excès d’ordre cherche et programme le chaos qu’il est dressé à faire exploser. Il est nourri de son propre fantasme ». Et dieu dans tout cela ? Eh bien, on le cherche encore, on ne trouve que ses avatars dépravés – conjurés de se défroquer et de se convertir, fissa : « M’est avis que le désir de rêve survivrait à la disparition de toute aliénation. Il ne lui est pas assujetti comme soupape… ». En suite de quoi, dieu est prié de se convertir en rêve d’innocence.

Ubu est partout dans cette correspondance. Justement, une lettre est expédiée à Monsieur Ubu, une autre à Buster Keaton, une suivante à Gove de Crustace, double clownesque de Tristan Felix. Intéressons-nous à cette Gove de Crustace, dévoreuse de marécages, voyageuse dans les airs saturés d’anges déplumés. S’il fallait représenter la figure déjantée du non-sens, on élirait haut la pince cette Gove de Crustace, reine du chaos, dont « l’œil fait le mort pour éviter qu’on ne lui tire une balle entre les omoplates ». Et Gove de remercier Buster Keaton, le grand frère qui lui apprend à sauter d’un cran, à recevoir le sol qui s’élève lors que le ciel tombe. Et vivre !

Question de vie, question de mort. Tristan Felix a deux mots à dire à « Ma mort ». Bon sang mais c’est bien sûr, il faudrait enfin que tous les cons qui mutilent la vie foutent la paix au monde, aux gens, prennent des vacances, démissionnent des instances du sens falsifié. « Ma mort, je vous abandonne à vous-même car je dois poursuivre cette correspondance ».

 

Philippe Thireau

 

(1) Film Dada, centré sur Philippe Sollers, à propos du livre de Marc Dachy, Il y a des journalistes partout, Infini, Gallimard, 2017.

 

Écrivain, poète, dessinatrice, photographe, Tristan Felix est également marionnettiste (Le Petit Théâtre des Pendus), performeuse et clown trash (Gove de Crustace). Elle a publié une trentaine de recueils. Son univers chamanique et onirique est inquiétant, entre théâtre de rue intérieure, cabinet de curiosités et cirque poétique.



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A propos de l'écrivain

Tristan Felix

 

Poète polymorphe et performeuse, Tristan Felix a créé la revue La Passe. Elle écrit des chroniques, des poèmes et des textes en prose. Elle est aussi dessinatrice, photographe, marionnettiste (Le Petit Théâtre des Pendus), conteuse chamanique en langues imaginaires et clown trash. Son œuvre est déjà importante mais son Ovaine La Saga est sans doute son livre le plus important. Celle qui expose, organise lectures-prouesses, impromptus poétiques, et qui a cofondé en 2008 L’Usine à Muses, pour la promotion des arts vifs et de la poésie, et la fabrique des films, crée un univers est onirique et fantastique.

 

A propos du rédacteur

Philippe Thireau

 

Philippe Thireau, né à Paris 15ème, a vécu en Algérie. Écrivain, poète, auteur dramatique, revuiste, a publié plus de 13 ouvrages chez différents éditeurs français, suisse et belge.