Embruns, Bernard Pignero
Embruns, Encretoile éditions, 165 pages, 17 €
Ecrivain(s): Bernard PigneroLouis-René des Forêts invite le lecteur dans Ainsi qu’il en va d’un cahier de brouillon plein de ratures et d’ajouts… à « mettre en doute l’omnipotence communément accordée au verbe, ce verbe qui, sous une forme abâtardie, mais jouant de son vieux prestige et disposant d’instruments tout neufs de diffusion, déverse à satiété sur le monde déjà saturé un flot d’éloquence creuse plus propre à l’obscurcir qu’à l’éclairer ».
Comment ne pas prendre acte de ce constat ? Mais encore faut-il, pour les romanciers français, apporter une réponse à celui-ci, sans divorcer d’avec le verbe : en continuant d’être chevillés au corps du français, sans instaurer d’arythmie dans les mouvements complexes, historiquement évolutifs, de cette langue. De son cœur.
L’œuvre romanesque de Bernard Pignero est une claire réponse apportée à la féconde mise en doute qu’a formulée des Forêts, et qu’avaient déjà formulée en leur temps Paul Valéry et Alfred Jarry. Dans une simplicité qui est le fruit et d’une longue maturation et d’un savoir-faire acquis grâce à l’approfondissement de la pratique de la nouvelle (cf. L’œil nu paru chez HB éd. en 1998), Pignero peint des personnages par petites touches, avec un souci du détail et de la vraisemblance qui confine à l’éthique, afin de faire affleurer leur humanité, ce soleil fait d’ombres. Afin de la faire doucement affleurer : sans jamais brusquer le lecteur, sans jamais donner raison aux heurts qui ne sont pas ceux de la vie.
Et cette humanité dialogue avec la nôtre. Il nous arrive, plongés que l’on croit être entièrement dans une histoire qui nous entraîne à sa suite jusqu’à cette façon qu’a le roman de se dénouer, d’être, in fine, une frange d’écume se perdant dans le sable blanc de la page, pour que notre émotion soit, seule, ce qui puisse danser sur la plage (sertie de falaises crayeuses) de notre mémoire – jamais désertée, toujours aimée par des passants difficilement reconnaissables, usant et abusant de masques –, il nous arrive ainsi, par la grâce du roman, de faire plus amplement connaissance avec cela même qui en nous n’a d’existence (infiniment renouvelée) que dans la fragilité, la ténuité, et qui est tout : notre humanité.
Il n’est que de lire Embruns pour le mesurer. Ou Traduit du français, roman paru peu avant chez le même éditeur. Ces deux romans se situant – bellement – dans le prolongement de Les Mêmes étoiles (Gallimard, 1998) et de Mélomane (Éditions des Vanneaux, 2011).
Matthieu Gosztola
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