Elles deux, Emmanuel Darley
Elles deux, 50 pages, 12,50 €
Ecrivain(s): Emmanuel Darley Edition: Espaces 34
« Deux vies »
La courte pièce d’Emmanuel Darley, Elles deux, est un triptyque du temps : le temps de l’avenir rêvé de l’adolescence d’abord, ensuite celui du passé qui sépare les êtres en chemin et enfin celui du temps de la mémoire qui s’efface. La vie de deux filles qui ne font qu’une (1), celle de Pouffe et de Glousse qui disparaît (2), et celle de « deux vieilles assises » en quête de leurs souvenirs (3).
Elles deux sont des copines, indissociables, comme des sœurs siamoises de la langue et de la grammaire et de la dramaturgie : Daley écrit pour la première réplique la didascalie ELLES pour désigner ces personnages, reprend souvent l’adverbe « ensemble » ou encore « l’une et l’autre » (p.12) ; leur donne la parole à travers le pronom « on ». Un metteur en scène pourrait très bien faire tout aussi bien dire le texte à une seule voix ou deux voix, qui prendraient en charge telle ou telle partie, de manière interchangeable. Emmanuel écrit deux fois la même page, au mot près. Gémellité des voix dramatiques (p.20.21.22). Les deux filles aiment paresser sous la couette, choisir leur tenue ensemble, se dire « tout pareil ensemble on fera » (p.11). Elles rêvent de travailler pour le cinéma, le théâtre, le monde du spectacle : devenir maquilleuse, costumière, chanteuse.
Et puis surgit un garçon (p.16), figure, silhouette, qui dans les trois parties de la pièce jouera un rôle. Il est celui qui défait le lien si fort entre les deux jeunes filles inexorablement parce qu’il lui faut en choisir une et délaisser l’autre. L’idéal trio (« lui et nous » p.19) ne saurait tenir. Les pronoms personnels qu’utilise l’auteur détruisent le couple fusionnel des filles :
L’autre chez moi. Elle
Toi ou encore
Elle Moi ou toi selon
La deuxième partie scelle à son tour la perte, la séparation. D’ailleurs le temps a passé et Emmanuel Darley abandonne le présent pour l’imparfait. Les deux personnages féminins maintenant portent en didascalies deux surnoms, qui malgré leur écho sonore les individualisent définitivement. Il y a Pouffe, la sage et fidèle, et Glousse, la fugueuse, celle qui disparaît avec des inconnus, des chiens. Fille en treillis, portant des chaussures jaunes. Elle a quitté le père et la mère sans donner de nouvelles après avoir suivi un garçon. Elle va jusqu’à changer de nom : Pomme, Yes comme pour se défaire totalement des derniers liens avec Pouffe qui lui adresse cette remarque : Tu es devenu autre (p.30). Pourtant dans la troisième partie, elles se retrouvent (c’est le présent de la vieillesse). Elles semblent vivre dans une maison de retraite ou un quelconque établissement pour personnes âgées. Le garçon s’appelle Bernard et fait partie du personnel de la résidence. Glousse est revenue. Pouffe a perdu la mémoire, la mémoire de leur jeunesse au point de dire « vous » à son amie. Elle ne fait que dire « je ne me souviens de rien » par deux fois, « je ne me souviens plus de rien, pas de souvenir ». Pourtant Glousse jusqu’au bout s’accroche à ce combat contre l’oubli, tente de percer d’une petite lumière le souvenir d’un jour, elle qui sait si bien raconter les histoires.
Marie Du Crest
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