Ella Fitzgerald, Il était une voix en Amérique, Steven Jezo-Vannier (par Guy Donikian)
Ella Fitzgerald, Il était une voix en Amérique, Steven Jezo-Vannier, mai 2021, 367 pages, 24 euros
Edition: Le Mot et le ResteBeaucoup a été dit et écrit sur Ella Fitzgerald. Un livre de plus pourrait-on dire, quel intérêt… Pourtant, intérêt il y a pour qui s’intéresse à la musique, aux mouvements sociaux qu’elle a traduits en créant des courants et des genres musicaux ; et pour qui s’intéresse aux musiciens, l’intérêt ici réside dans le détail d’une vie que « hasard et nécessité » ont vouée à la musique. The first lady of song avait une tessiture exceptionnelle qui lui a permis d’exercer son art dans le jazz, mais aussi le swing, le bebop, avec les plus grands musiciens (la photo de couverture de 1947 la montre en compagnie de Dizzy Gillespie et de Ray Brown), le blues, le rythm and blues et le gospel. Ella Fitzgerald ne s’est jamais laissé enfermer dans un style. Elle n’accorde pas plus d’importance aux frontières artistiques qu’elle n’admet de barrières culturelles, sociales ou raciales. Elle chante pour tout le monde, riche ou pauvre, Noir ou Blanc. A ses yeux, la musique, comme le public, ne doit souffrir d’aucune ségrégation. La musique n’a pas de couleur dira-t-elle en 1963. Des styles musicaux différents donc, qui traduisent aussi son engagement. « Ella était là bien avant le black power, les protest song et la révolution rock. Son truc à elle, c’est le soft power. Elle utilise l’essence universelle de la musique et son pouvoir fédérateur pour abattre les murs ».
Née en Virginie en 1917 (et non en 1918 comme elle le déclara lors de son mariage pour ne pas avouer ses trente ans) à Newport News, elle perd son père, William Fitzgerald, très tôt, elle n’a pas quatre ans. Sa mère, Temperance Williams, aimait chanter avec William, et la musique était très présente dans la famille. Ella chantait également dans ce contexte familial qui lui a très tôt permis d’être en contact avec la musique. Ainsi développe-t-elle un sens du rythme exceptionnel qui la servira tout au long de sa carrière.
Dans l’entre deux guerres, « le jazz est partout, dans la rue, dans les appartements, derrière la façade néo-classique du Harlem Opera House sur la 125ème rue, et dans les petits clubs tenus par la pègre, où circule l’alcool de contrebande ». C’est ce contexte musical que la famille va vivre après qu’elle aura déménagé à New-York. Et le fameux Cotton Club offre à la minorité noire des chances d’émancipation que s’offriront des Louis Armstrong, Cab Calloway, Duke Ellington… C’est aussi l’époque pendant laquelle le jazz va vivre une révolution (et ce ne sera pas la dernière !) quand la contrebasse, la guitare, la batterie vont renforcer le poids du tempo et soutenir les improvisations des solistes.
Ella Fitzgerald va vivre toutes ces évolutions, elle qui encore adolescente, alors qu’elle vit dans la rue, va saisir des opportunités qui vont révéler une voix unique, exceptionnelle de chaleur, de rythme, en improvisant comme le font les instrumentistes et en développant le scat, une autre manière de se situer aux frontières de différents styles musicaux, de traduire une infinité d’émotions en colorant à souhait les onomatopées dont elle va user pour dire aussi ses engagements contre toutes les formes de discriminations, qu’elles soient raciales ou sociales. Ella chantera avec les plus grands, et le mérite de l’auteur est de nous faire suivre sa carrière en relatant par le menu les moments les plus importants, en la suivant dans les différents concerts, aidée tant par les plus grands du jazz que par des managers qui ont, tôt, saisi l’originalité des qualités exceptionnelles d’une voix.
Guy Donikian
Steven Jezo-Vannier est un spécialiste de la contre-culture. Il a écrit et publié aux éditions Le Mot et le Reste une dizaine d’ouvrages consacrés au rock (le rock au féminin) et des biographies sur Frank Sinatra, The Byrds…
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