Ekphrasis 11 - Echofenster ou Les filles aux longues tresses
Echofenster ou Les filles aux longues tresses, Œuvres sur papier de Cornelia Schleime (1988-2014)
Cornelia Schleime tresse les cheveux de jeunes filles graciles, de filles de papier, d’encre de Chine et d’aquarelle, qui se tournent avec indifférence, vers nous, au centre de la surface blanche, toujours désespérément seules. Les tresses sont parfois les tentacules d’une Méduse germanique, profane, surgissant de son crâne, que nous n’aurions pas peur de regarder en face. Echofenster moins terrifiante que la Gorgone du Caravaggio. Elles virevoltent dans l’air comme si un vent maléfique, inconnu des géographes, les soulevait et elles s’accrochent enfin à la masse incertaine d’un rocher qui, en quelque sorte, est un prolongement minéral de la jeune créature. Les nattes sont parfois tracées dans la souplesse du mouvement, dans le prolongement incertain qu’elles dessinent des bras.
Tiens, quelque chose de mystérieux soudainement s’est passé. Volt et la jeune fille au visage boudeur presque ingrat, aux drôles de chaussettes rouges et aux deux tresses, qui se dressent au-dessus de sa tête, semble nous adresser un reproche dont nous ne connaîtrons jamais la raison. Electrocution vengeresse que la dessinatrice lui fait subir. Elle est à son tour une divinité sylvestre, à la tête couronnée de grands bois qui écrivent un grand V flou et crespelé.
La tresse longue serpente jusqu’aux eaux des fées, des lorelei inconnues, de toutes les sirènes perdues et que leur chevelure enveloppe. Pourtant la tresse n’est pas qu’innocence de gamines. La peinture, l’acrylique se marient à la douceur diaphane de l’aquarelle. Cornelia Schleime agrandit alors la scène de la pose. La jeune fille s’allonge (Liegender Akt I, II) sur le ventre, s’exhibe : les tresses rejoignent les fesses d’albâtre offertes au spectateur comme dans un nu de Schiele et que les bas obscènes dénoncent. Les tresses soulignent les chemins du plaisir. Le premier modèle semble flotter sur la surface d’une étoffe aquatique, émeraude ; la seconde émerge du vide, radicalité des traits qui lui font un corps mais un corps sans bras, comme suspendu dans l’espace de la feuille. En 1995-6, Cornelia Schleime réduisait son dessin à un tout petit visage ensorcelé par de très longues et très fines tresses. Série de rituels, de contorsions des cheveux, tantôt écharpe étrangleuse, tantôt ailes d’oiseau incertaines, ou bien encore boucle d’une bague inquiétante, ou même lasso, fouet d’une tête décapitée. Tresses assassines.
Marie du Crest
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