Einstein, le sexe et moi, Olivier Liron (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)
Einstein, le sexe et moi, septembre 2018, 200 pages, 18 €
Ecrivain(s): Olivier Liron Edition: Alma EditeurRythmé par le jeu de Questions pour un champion, les « Olé » et le couscous de langues de la grand-mère Josefa de l’auteur, Olivier Liron nous révèle dans ce roman sa différence, à la fois si géniale et douloureuse.
A coup de buzzers, on avance dans le roman dans la vélocité des réponses savantes sans queue ni tête de l’émission de Julien Lepers et le tourbillon des pensées incessantes de l’auteur qu’il nous livre sans censure.
L’auteur se sent comme un ovni à l’école. L’esprit critique y est banni. Quand il ne comprend pas la différence entre immigré et émigré, son professeur s’énerve. C’est d’ailleurs un problème en France, « cette obligation de se ranger en permanence du bon point de vue, édicté par des élites totalement à côté de la plaque, sans transiger ». Sa grand-mère d’origine espagnole est-elle immigrée ou émigrée ? Tout dépend de quel côté de la frontière on regarde. Cependant, quelles que soient les frontières, l’auteur se sent étranger. « Ma vie c’était ce sentiment, la honte. Pour moi il était normal d’avoir honte comme ça de son corps, la honte pour moi était normale comme le vent, comme l’eau du robinet, normale comme le fait de trier les poubelles, normale comme les nuages noirs en hiver ».
« Personne n’était là pour me dire que ce n’était pas normal ».
Olivier Liron est autiste Asperger et face à l’hostilité de ses camarades, il s’est rempli la tête d’informations pour remplir sa solitude. « Pour dompter l’absence et le chagrin », il s’est construit une forteresse. Une forteresse « de poésie et de silence » dont il s’est senti prisonnier. « Enfermé dans un mur de politesse », il n’arrive pas à hurler. Les gens heureux l’énervent, lui qui n’a pas le droit d’exister.
Cette « radicalisation » en poésie l’a aidé à surmonter cette haine de soi, cette « horreur intime ». Sa haine de soi était si forte qu’il s’était résigné à « mourir puceau » en toute sérénité. La sexualité lui faisait terriblement peur, car elle oblige à accepter son corps. La splendeur des poètes lui a permis de survivre et l’a finalement sauvé du fascisme de la norme.
Ce roman est dès lors aussi un hommage à la grandeur de la poésie, qui est une défenderesse acharnée de la différence. Sa beauté nettoie tous les coups bas de la société. Oui, la poésie peut transformer la vie.
L’écriture a permis à l’auteur d’ouvrir sa prison, d’aller à la rencontre des autres. Mais aussi l’humour qui sourit sur toutes les pages de ce livre lui a permis de relativiser les jugements. Ce livre décrit l’itinéraire d’une belle revanche sur la vie des gens dits « normaux » et démontre comment une faiblesse peut se transformer en victoire.
Contrairement aux romans de Houellebecq, le jeu de Questions pour un champion apparaît comme une formidable quête de soi-même, qui tire son auteur de la honte du quotidien.
Marjorie Rafécas-Poeydomenge
- Vu : 2331