Egypt An II, Fawzia Assad
Egypt An II, Edition Chèvrefeuille étoilée, Collection D’un Espace L’autre, novembre 2013, 101 pages, 7 €
Ecrivain(s): Fawzia Assad
Démocratie à l’égyptienne ?
En novembre 2013, quatre mois après le coup d’Etat du 3 juillet 2013 mené par l’armée contre le président Mohamed Morsi, Fawzia Assad, essayiste et écrivaine, publie un essai intitulé Egypt An II.
A travers cet essai de 101 pages, au fil des pages, l’auteure s’évertue à reconstituer les événements qui ont secoué l’Egypte, de janvier 2011 à juillet 2013. Elle met en lumière les raisons qui ont conduit à la destitution du président M. Morsi ainsi que le rôle que le « peuple égyptien » et l’armée ont joué dans cette déposition.
Son objectif ? Informer. Rendre compréhensible ce qui s’est réellement passé dans ce pays afin de proposer une autre version que celle propagée par les médias occidentaux. Car de son point de vue, les « analyses, reportages sont biaisés, tronqués et ne reflètent ni la réalité des faits eux-mêmes, ni la profondeur politique qu’ils signifient ».
C’est à Place Tahrir (liberté), qui prenait l’allure d’une « nouvelle République utopique », que tout a commencé. Les causes de la « Révolution » du 25 janvier 2011, « cette fleur du désert surgie du fond des terres labourées » sont multiples : pauvreté, chômage, inflation, petits salaires, corruption, liberté d’expression, violences policières. Les manifestants revendiquaient « un juste partage des ressources », Liberté (Horeya), Dignité (Karama) et Justice (Adala Egtema’éya). A ce stade du soulèvement, les protestations étaient cristallisées autour du président Hosny Moubarak que les Egyptiens assimilaient à un « Pharaon ».
Lorsque ce dernier est déposé, l’armée prend le pouvoir. Après plusieurs tentatives de gouverner le pays, les militaires sont écartés. F. Assad attribue cette situation au « peuple » qui a dit « non au pouvoir militaire ».
C’est au tour de Mohamed Morsi, haut responsable des Frères Musulmans, de prendre les rênes du pouvoir après avoir été élu à 52%. Celui-ci a régné cent jours. Sa destitution est survenue dans un contexte de dégradation de la situation socio-économique. Sur le plan politique, cet homme qui s’était engagé à respecter la démocratie s’était attribué tous les pouvoirs : l’exécutif, le judiciaire, le législatif. En plus de lui accorder pleins pouvoirs, la nouvelle Constitution excluait la participation de la diversité égyptienne et des femmes. « L’homme de paix, écrit l’auteure, divisait son pays. Il se soumettait aux diktats de sa confrérie ».
Ce pouvoir absolu a donné lieu à une campagne de désobéissance civile initiée par le mouvement Tamarrod (Rebellion) lancé par cinq jeunes. Celle-ci a joué un grand rôle dans la destitution de M. Morsi et l’annulation de la constitution par l’armée égyptienne.
« L’armée et le peuple, une seule main (…), main dans la main », écrit F. Assad, qui met l’accent sur le pouvoir du « peuple » égyptien, son refus de la dictature et sa volonté de déléguer l’armée pour restaurer l’ordre dans la société égyptienne.
A travers cet essai, l’armée égyptienne est présentée comme une alliée du « peuple » égyptien. A l’écoute des revendications des opposants au président M. Morsi, les militaires ont, du point de vue de F. Assad, répondu à l’appel des manifestants qui ont exprimé leur volonté de changement de gouvernance et ont délégué les militaires pour lutter contre la violence et le terrorisme. Vu sous cet angle, l’armée est présentée comme une institution qui a joué un rôle essentiellement libérateur puisque c’est grâce à son intervention que les Egyptiens ont été délivrés de la « dictature » des Frères musulmans.
Il semble important de noter que dans l’essai, la destitution du président Morsi n’est pas considérée comme un « coup d’Etat » mais plutôt comme le résultat de la « révolution » populaire. Et le rôle de l’armée a consisté à exécuter les revendications des manifestants qui s’opposaient au président déchu. L’intervention de l’armée en réponse à l’appel et au « pouvoir du peuple » est conçue comme « un véritable processus démocratique ». « Le peuple a pris son sort en mains. L’expérience de la démocratie occidentale le menait à l’impasse. Il inventait sa propre démocratie », écrit F. Assad.
Pourtant, le « peuple » dont il est question dans l’essai ne représente pas la totalité de la population égyptienne. Car l’autre fraction, ceux et celles qui ont exprimé leur opposition à la destitution de M. Morsi, qualifient cette déposition de « coup d’Etat ». C’est de leur point de vue un acte anti-démocratique puisqu’ils/elles l’inscrivent dans le cadre d’une interruption du processus démocratique.
A travers cet essai, l’auteure glorifie le rôle de l’armée. L’intervention de cette dernière est qualifiée comme un acte salutaire pour tous les Egyptiens. En ce sens, F. Assad adopte un point de vue essentiellement patriotique puisqu’elle épouse la vision de cette institution qui se conçoit comme la détentrice de la légitimité historique et de la souveraineté égyptienne et ce, depuis 1952, date du renversement du roi Farouk et de l’indépendance de l’Egypte.
Pourtant, plusieurs questions se posent. Quelles sont les réelles motivations qui ont animé l’action des héritiers des officiers libres : souci de contenir et de contrôler la mobilisation des masses ? Est-ce une tentative de se re-positionner sur l’échiquier politique et de sauvegarder le rôle central de l’armée au sein de la classe dominante ?
L’armée répondra-t-elle aux demandes de redistribution et de justice sociale revendiquées par les manifestants ? Les changements auxquels aspirent tant les Egyptiens sont-ils possibles sans le renversement de la classe dominante et une refonte du système politique égyptien ?
Nadia Agsous
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