Editions Louise Bottu - un entretien
entretien avec Jean-Michel Martinez, gérant des éditions Louise Bottu
« La plupart de nos occupations sont comiques. Il faut jouer notre rôle comme il faut, mais comme le rôle d’un personnage emprunté ». Michel de Montaigne
Les quatre petits livres sont sur la table accompagnés de deux verres de Tariquet, on peut commencer, commencer à parler de Louise Bottu, nouvelle maison d’édition qui vient de naître. Douceur des Landes, entre Dax et Orthez, à deux pas de Préchacq où Montaigne de fort mauvaise humeur prit ses bains, plumes de canards gras et livres de Clément Rosset et Samuel Beckett, soleil couchant pour se lancer dans l’échange littéraire.
D’un divertissement l’autre, accompagné par les phrases de Jean-Louis Bailly, Lucien Suel, Antoine Brea et Albin, petits livres tout aussi légers, vifs et piquants que le sont les yeux de Jean-Michel Martinez le gérant amusé de Louise Bottu.
Pourquoi vous lancer dans « l’entreprise » ?
Une expérience d’édition associative, le goût des mots… Des mots, pas forcément de la Littérature. Aimer ces matériaux bruts, malléables et concrets, que sont les mots, ne signifie pas aimer laLittérature, ce concept fourre-tout – sauf à la prendre au sens de Cicéron et de Tacite, l’ensemble des lettres servant à écrire constituées en alphabet.
Lorsqu’on regrette ses paroles, on en impute à tort la faute aux mots qui auraient dépassé la pensée. Des mots auxquels on prête une existence autonome. Dont il faudrait se méfier. Craindre plutôt que la pensée ne dépasse les mots. Que, boursouflées, les idées ne s’en détachent au point de les parasiter. De les vider.
C’est peu et c’est beaucoup, les mots ne peuvent que ça : tourner autour du réel. Comme on dittourner autour du pot, mais avec la grâce. Plus ou moins de grâce. Là est tout leur charme. La vérité des mots c’est l’éternel détour. Et au détour d’un mot, Louise Bottu.
Personne ne vous connaît et vous vivez loin du petit monde de l’édition, ce n’est pas un handicap ?
Personne ne nous connaît, c’est vite dit. Venez donc faire un tour à Mugron ! Et puis la distance n’est plus ce qu’elle était. Cela dit, il se peut que ce petit monde demeure pour nous une notion, une nation lointaine. À moins de le définir comme une sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part.
Quoi et qui voulez-vous publier ?
Ce qui nous plaît, dans la mesure de nos moyens.
Avec quels critères littéraires ?
Voir la réponse précédente : ce qui nous plaît. C’est vague ? Ces éditeurs seraient-ils plus précis qui parlent à tout propos d’original ? Ou encore d’aller au-delà des mots ? Rien n’est plus répandu que le désir de singularité et nous serions tentés de chercher en deçà des mots, plutôt qu’au-delà. Pour, in fine, revenir au juste milieu : la surface. Nous plaisent les textes superficiels par profondeur, à l’instar des Grecs vus par Nietzsche.
Petit retour sur la pensée qui dépasserait les mots. Par conséquent sur les intentions prêtées aux uns, aux autres et à soi-même. Nous aurions tendance à croire que, pas plus que l’écrivain ne sait ce qu’il écrit, l’éditeur ne sait ce qu’il publie. Tout est fondamentalement une affaire de hasard. Hasard, encore un beau mot.
Bien sûr nous aimons être surpris. Mais la surprise, nous la trouvons avant tout dans les mots. Dans telle ou telle manière de les associer, de les opposer, de les réinventer, de requinquer leur banalité, de les faire sonner, de jouer avec eux… À lire certains textes avec gourmandise, on se dit que les mots eux-mêmes doivent être surpris de se retrouver là. À cette place. Dans cette situation. Surpris et ravis.
Nous aimons les textes au service des mots. Quand l’auteur n’en est plus un. Qu’il se dérobe. Se soustrait aux regards, à son rôle éculé. Qu’il se dé-robe. Se défait de sa robe, cet habit convenu qui ne fait ni l’auteur ni le moine.
Notre ligne éditoriale est sinueuse. Surtout, elle n’est pas arrêtée. Elle se construit au fil des rencontres, des lectures... Sois ce que tu deviens, dit Novarina.
Certains textes reçus nous ont ouvert des horizons éditoriaux insoupçonnés. Nous n’avons pas en tête une littérature idéale. On en a vu plus d’un, questionné sur la partenaire idéale, qui n’en pinçait que pour les blondes longilignes et patatras, tombe amoureux d’un petit gros à demi-chauve. La vida te da sorpresas, sorpresas te da la vida, ay Dios !, (La vie te donne des surprises… les surprises te donnent la vie…) chante le chœur dans Pedro Navaja, la salsa de Ruben Blades.
Quatre livres publiés aujourd’hui, c’est une première vague, une vitesse de croisière ?
Nous verrons bien. Dans un premier temps éviter les écueils – pour prolonger la métaphore maritime.
Comment les avez-vous choisis ?
Par goût. Des livres appréciés. Des rencontres sur le web. Des textes découverts et aimés sur des blogs. Des auteurs qui ont bien voulu nous faire confiance. Et voilà.
Des petits livres, c’est un choix ?
Ce qui se dit bien se dit en peu, écrit Baltasar Gracián, et je ne sais plus quel auteur classique à un jeune poète qui lui soumettait ses distiques, pas mal mais un peu long.
Outre une préférence pour les textes courts, nous devons compter avec des contraintes. Mais sur ce point comme sur les autres, il n’y a pas de règle absolue, nous serions ravis de publier un excellent texte long.
Des nouvelles, un journal de bord tiré d’un blog et un roman, c’est un choix, multiplier les styles et les genres ?
Les multiplier ? Pas nécessairement. Pas systématiquement. En tout cas rester ouvert, attentif à tous. Poésie ou essai… Sobriété ou baroque… D’une certaine manière, Louise Bottu est transgenre.
Vous voulez en vivre et en faire vivre vos auteurs ?
Avec les auteurs que nous publions, nous établissons un contrat en bonne et due forme, selon la formule. Ces mêmes auteurs publient chez d’autres éditeurs (L’Arbre Vengeur, Derrière la salle de bains, Le Quartanier, Belfond, Laffont, La Table ronde…).
Pour le reste, je ne les connais pas personnellement. Je m’intéresse à eux comme écrivains et l’existence d’un écrivain est entière dans ses livres. À propos de livre, il y en aurait un à écrire sur les droits d’auteur, les illusions tenaces et la marchandise culturelle aujourd’hui.
Si vous étiez un éditeur connu, vous seriez qui ?
Louise Bottu.
Si vous étiez un écrivain, vous seriez qui ?
Louise Bottu.
Si vous étiez une maison d’édition reconnue qui seriez-vous ?
Louise Bottu.
Mais qui est donc cette Louise Bottu ?
Les trois réponses précédentes ne sont pas une boutade. Pas seulement Dans toute plaisanterie il y a une part de plaisanterie, peut-on lire dans un roman russe.
Écrivain, éditeur reconnus… Nous n’avons pas de modèle en la matière. Et à nos yeux, le temps, la réalité, la fiction, ne sont que des représentations du mystère.
Ainsi, Louise Bottu, personnage de Robert Pinget, est-elle tout à la fois une poétesse fictive, donc réelle, et la maison d’édition que nous sommes et rêvons d’être.
(Remercions au passage monsieur Jacques Pinget de nous avoir prêté son nom.)
Alors voyons-voir en quelques mots :
Albin – saison 1, cent épisodes : Albin, l’écrivain anonyme fait sa rentrée champêtre, il gambade, saute, virevolte, s’amuse, joue avec une herbe fraîche, prend le soleil et le Grevisse, grignote un mot rare, il a bien bel appétit l’animal !
Il se murmure qu’Albin est la réincarnation de Laurence Sterne !
D’un murmure l’autre, l’Albin ne saurait tromper Tristram et inversement !
Petites vies d’écrivains du XX° siècle – Antoine Brea : Les amateurs de biographies d’écrivains vont s’amuser (quoique !), et vérifier que les seules visites aux vies d’écrivains qui méritent attention sont celles qui viennent justement d’écrivains amusés qui savent, amusement suprême, que le vrai est une ponctuation du faux, et le faux un acte manqué du vrai.
Flacons, flasques, fioles… – Lucien Suel : Au siècle dernier, Alfred Hitchcock présentait à la télévision de petits films terrifiants et amusants, preuve que le plus grand des cinéastes pouvait avec sa légendaire légèreté et sa méchanceté anglaise se glisser dans des formats courts, où en un tour de caméra tout est dit et tout est fait, Montaigne aurait aimé, Suel doit adorer.
Ces exercices littéraires pétillants tiennent dans une fiole, comme celle que glissait Hemingway dans la poche intérieure de sa veste, une façon comme une autre de tenir le coup en attendant le fatal coup de corne.
Un divertissement - Jean-Louis Bailly : Les surfeurs qui fixent le lointain de la plage de Guéthary savent que l’océan est avare en mots et en signes pour annoncer ses déferlantes, seuls quelques-uns savent plisser les yeux pour deviner les futures déroutes. C’est leur divertissement disent-ils, lorsqu’on les interroge. D’autres affirment que c’est à trop fixer le large que naissent les tempêtes. Le Diable probablement ! Ainsi va ce roman.
Philippe Chauché
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