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Ecritures de soi, Ecritures du corps, Actes du colloque de Cerisy, sous la direction de Jean-François Chiantaretto et Catherine Matha

Ecrit par Marie-Josée Desvignes 02.01.17 dans La Une Livres, Etudes, Les Livres, Critiques, Livres décortiqués, Revues, Hermann

Ecritures de soi, Ecritures du corps, Actes du colloque de Cerisy, sous la direction de Jean-François Chiantaretto et Catherine Matha, 2016, 300 pages, 26 €

Edition: Hermann

Ecritures de soi, Ecritures du corps, Actes du colloque de Cerisy, sous la direction de Jean-François Chiantaretto et Catherine Matha

Le corps et la sensorialité, omniprésentes aujourd’hui à travers les medias (blogs, réseaux sociaux) parfois jusqu’à la surexposition, voilà le propos de ce colloque, du corps somatique au corps érotique, du corps à aimer au corps à détruire. C’est ce dont il est question à travers différents champs, celui de l’écriture, celui de la cure et dans les différentes cultures, avec anthropologues, linguistes, psychologues cliniciens, psychanalystes et écrivains.

Dans la première partie intitulée Ecritures, Jean-François Chiantaretto dans son article « Présence et absence du corps dans l’écriture de soi : Martin Miller contre Alice Miller » y présente le rapport complexe et douloureux entre Alice Miller – dont l’œuvre pourtant témoignait d’une véritable attention portée au corps de l’autre, de l’enfant, à son intime – et son propre fils Martin Miller, lui-même devenu thérapeute, qui vient d’écrire un ouvrage : Du côté de l’enfant, une approche subversive de la souffrance humaine, L’essentiel d’Alice Miller. Martin Miller revendique dans son essai biographique une double légitimité, d’abord comme « enfant maltraité de sa mère », victime muette et observateur de sa mère, puis « auditeur empathique de ses élaborations théoriques ».

« Un fils maltraité, écrit la biographie de sa mère maltraitante théoricienne de l’enfant maltraité », révélant au passage le passé de « fille maltraitée qu’elle a essayé de (se) cacher ». Terrible autoportrait d’une mère bien intentionnée, pleinement innocente puisque dans la reconnaissance de sa défaillance coupable et de son échec à sauver son fils.

Dans son article Le pouls de la langue, Camille Laurens s’interroge sur l’intitulé du colloque en mettant en parallèle écriture de soi et écriture du corps, à savoir l’intime tel qu’il s’écrit est-il nécessairement corporel ? évoquant depuis l’époque classique la représentation du corps passé du « je pense donc je suis » au « je sens donc je suis » des Lumières qui a donné lieu ensuite au développement des journaux intimes où le « qui suis-je ? » devient intérieur, intime. Rappelant Montaigne, Rousseau ou Proust et la difficulté pour la langue, pour l’écriture de se passer de l’incarnation. « Ceux qui méprisent le corps n’ont qu’à s’en défaire, ce qui les rendra muets » dit-elle citant Nietzsche. Il s’agit, précise Camille Laurens, ici de parler davantage de la manière dont nous évoquons le corps dans nos écrits (plutôt que du fait qu’on écrive avec son corps, ce qui n’est plus à démontrer).

Bien plus qu’hier le corps aujourd’hui n’est plus caché mais exposé, analysé, disséqué « corps endolori, corps souffrant, corps somatique », martyr parfois par ce que l’écriture de soi a souvent pour origine un trauma (cf. Artaud) et comme dans l’Art contemporain et ses performances extrêmes donc non pas le corps objet mais corps « dans sa vérité subversive du désir » (J. Baudrillard). Dans cet article très intéressant, C. Laurens revient sur son propre travail d’écriture notamment à partir de son texte Philippe (POL) évoquant la mort de son bébé. Elle rappelle qu’il ne s’agit pas de décrire les fonctions du corps et de les exposer mais bien d’établir ce lien « entre le monde et le corps de l’écrivain comme territoire non organique », mieux encore précise-t-elle, il s’agit en écrivant de faire corps avec la langue, « restituer dans le symptôme ce qui du corps a fait langage ».

« J’écris pour ranimer le corps de la mère, le corps de l’enfant, le corps de la morte et du mort. J’écris pour leur donner du souffle, j’écris pour retrouver le rythme du cœur et pouvoir revivre moi-même ».

Ce qui importe ce n’est pas ce que le corps ressent c’est ce qu’il a à dire.

Bernard Chouvier s’intéresse, dans son article Pessoa, écriture de soi et rêve d’écriture, à l’écrivain aux multiples hétéronymes chez lequel l’écriture est un « moyen de s’élever, grâce aux mots, au-dessus de l’inquiétante pesanteur des choses », « le bercement » des mots étant ce rythme sécurisant un « ruthmos » inaugural, « chacune des pages de Pessoa atteste de ce combat victorieux ». Homme du rêve, il puisera dans son humeur mélancolique l’énergie positive à la réussite de son art. Ecrire pour lui c’est survivre, un article encore passionnant sur l’empreinte des mots et le feu de la création sur le corps de l’artiste.

Claire Nioche Sibony est psychanalyste et maître de conférence. Elle propose une lecture de Pascal Quignard dans son article Liaisons et déliaisons du corps de l’écriture. Chez Quignard, nous dit-elle, l’écriture de soi est plutôt une écriture du « dé-soi ».

« Il y a peu de langue aussi construite aussi syntaxique érudite et latine que celle de P. Quignard… mais une langue toujours menacée de ruines ».

Liaisons et déliaisons psychiques ont leur origine dans le corps, dans la langue, dans le corps de l’autre (la mère) « la mère absente fut le cœur de ma vie » (Quignard).

La ruine (« je vais chanter ce qui est en ruines », dit Quignard), l’absence de la mère mais aussi la solitude et les livres. « L’écriture de soi ou du dé-soi est alors précisément ce par quoi se conquiert une nouvelle solitude » surgie d’une absence de l’autre, il y a alors réappropriation de cette solitude dans la joie « à la condition d’abandonner tout soi ».

« La lecture naît de la désintégration de soi à l’intérieur de l’autre » dit Quignard.

L’obéissance à la langue dont on dépend doit évoluer jusqu’à se « désarticuler », pour s’en affranchir, c’est la finalité profonde que Quignard appelle « rhétorique spéculative ». Entre liaison et déliaison « c’est le corps qui investigue dans le langage » (Quignard, Rhétorique spéculative) et le style de l’écrivain naît de cette tension.

Le travail de liaison serait « liaisons d’images, de métaphores où le corps de l’écrivain se trouve délié et affranchi de la tyrannie première du langage… ».

Pour P. Quignard, nous dit l’auteur de cet article, « l’écriture du soi implique un sacrifice du moi ».

Un article très touchant de Jacqueline Rousseau-Dujardin, psychiatre, psychanalyste, sur les lettres de Paul Valéry à Jean Voilier (pseudonyme littéraire de Jeanne Loviton) où l’on apprend que dans sa correspondance Valéry révèle d’autres aspects de sa personnalité qui ne transparaissent pas toujours dans son œuvre. Des aspects de sensibilité et de sensorialité dans une écriture où s’engage tout le corps et où se développe une passion, un engagement de tout l’être. Il s’interrogera sur ce qui serait advenu de lui s’il avait aimé cette belle inconnue de son adolescence autrement que d’un amour platonique et qu’il ne se soit consacré à cause de cela uniquement à l’Esprit ? Car l’amour absolu qu’il voue à J. Voilier rendra son écriture au sensoriel et à la sensibilité, et dans son Faust il écrira : « Serais-je au comble de mon art ? Je vis et je ne fais que vivre. Voilà mon œuvre… […] ». Valéry qui écrira enfin qu’il a fait ce qu’il a pu mais surtout qu’il aura sous-estimé son cœur, le cœur qui l’emporte sur l’Esprit, précise l’auteur de l’article.

La seconde partie du colloque consacrée aux Sensorialités, s’ouvre sur l’article de Liliane Cheilan, professeur d’université. Il est question du corps dans la bande dessinée autobiographique. On revient à la complexité de l’humain dans chaque individu, thème et objet d’introspection. Il y est question entre autres de la créatrice belge Dominique Goblet qui évoque dans son Faire semblant c’est mentir son besoin de se libérer d’un souvenir obsédant de maltraitance subie enfant et d’un besoin maladif d’en parler autour d’elle.

Faire parler l’image de façon symbolique ou de manière plus sensuelle comme chez Sylvie Fontaine (Le Poulet du dimanche) est souvent très efficace pour montrer ce qui ne peut se dire facilement.

Dans Le Corps voyant dans l’œuvre de Maupassant, Jacques Dayan, psychiatre et professeur de psychopathologie, écrit : « Toute écriture est une écriture de soi. Quand elle ne montre pas elle indique, quand elle n’indique pas, elle trahit. Le corps tout entier écrit… » Le corps ici est celui de l’action. « Ce sentiment de l’effort pour être et créer dont le corps est la clé et la source précède la naissance de la psychanalyse ».

Chez Rimbaud comme chez Nietzsche, précise J. Dayan, « tout comme chez Maupassant le chemin vers la connaissance de soi passe par l’effort et la volonté », et Maupassant qui a si peu théorisé son art aboutit à une abolition des frontières du réel jusqu’à l’aveuglement, nous dit J. Dayan.

Une belle étude, un article passionnant qui revient sur l’histoire familiale de l’écrivain, ses liens intimes avec Flaubert, son tuteur intellectuel. Inceste, adultère, éviction du père, narcissisme, identité, thème du double et du miroir, frère aîné mort un an avant sa naissance, créent un environnement aux contours incertains, angoissants, un tout signifiant pour dire l’importance et la place du corps (cf. Le Horla).

Ghyslain Lévy nous entretient de L’écrit de la voix, entre invisibilité et virtualité sur quelques variations autour de « Aimer mais comment ? » de J. Rousseau-Dujardin, et évoque à travers le cinéma et la littérature notre relation à l’autre à l’ère cybernétique. Prenant tour à tour pour exemple le film 10000 kms de l’Espagnol Carlos Marques-Marcet (2014), le récit de Duras Navire Night en contrepoint, puis le film de Spike Jonze, Her (2014).

« Une nouvelle solitude est en train de naître qui sous l’alibi des relations interactives virtuelles s’ouvre sur un nouveau rapport au temps, le temps de la téléprésence qui n’est ni du temps biologique ni du temps de la subjectivité psychique ».

L’auteur conclut sur cet exemple glaçant qu’est le film Her :

« A l’heure des implants électroniques dans le corps, la voix féminine du cyborg ne pourra-t-elle pas bientôt être elle-même greffée dans la peau du connecté amoureux ? “L’avoir dans la peau” ne sera plus désormais une métaphore. Qu’en sera-t-il dès lors d’un nouveau discours amoureux ? ».

Isabelle Lasvergnas, psychanalyste et professeure de sociologie, dans son article Le corps exorbité, s’attarde sur « les expériences d’étrangéification à soi-même dans lesquelles le corps est devenu pour le sujet une instance interne/externe, un Moi/non-Moi inquiétant, voire révulsif et haï ». Elle s’appuie sur l’intertextualité entre interrogation clinique et œuvres de création dans le cadre de la cure psychanalytique et notamment dans les œuvres figuratives et la pratique de l’autoportrait, en particulier quand le corps y est souffrant comme chez Frida Kahlo mais également dans l’œuvre de l’artiste finlandaise Helene Schjerfbeck.

Recours fréquent dans l’œuvre de Didier Anzieu (cf. sa théorie du Moi-peau) qui a écrit : « La détermination précoce du destin de l’enfant “bénéfique ou maléfique” s’effectuant par la médiation des soins reçus et dans le don fait par la mère de la peau qui fut lors des soins premiers communs à l’enfant et à elle ». L’étude émouvante de Frida Kahlo ici démontre combien l’autoportrait l’a aidée « à juguler une douleur physique incommunicable ». Trauma physique chez Kahlo, effondrement dépressif chez Hélène Schjerfbeck qui dit l’effroi d’un « unheimlich », dans l’étrangeté à soi et le vacillement identitaire.

La 3ème partie consacrée aux Cures analytiques, Catherine Matha, psychologue clinicienne, psychanalyste, présente son article L’intime dans le transfert : du corps à l’écriture. Sur l’intime et le sensoriel, C. Matha reprend quelques cas de cures, celui par exemple d’une adolescente famélique (et privée de mère) qui se dit elle-même « comme anesthésiée » qui condense, selon elle, l’expression de la haine de soi, l’inquiétude exprimée faisant écho à ces mots de Pessoa : « J’éprouve seulement de la peine de ne pas être quelqu’un capable d’en ressentir ».

En passant par l’écriture, la jeune fille dira : « Ecrire cela fait exister l’autre mieux, j’autorise l’autre à exister et ça me permet d’exister mieux moi aussi », dans une écriture intimement liée au processus analytique qui interroge « les liens entre écriture, marquage corporel et inscription psychique » et enfin prise de conscience à la fin de la cure de la relation morbide qu’elle a entretenue avec sa mère (dont elle a attendu une caresse impossible puisque mère décédée très tôt). Un cas clinique qui dit « la puissance des ancrages sensoriels dans le soutien et l’animation de la vie psychique » chez cette jeune femme au « corps comme anesthésié » vécu comme étranger.

Claire de Vriendt-Goldman, psychiatre et psychanalyste, dans son article Ecrit originaire de soi : fils sensori-moteurs et émotionnels dans la trame psychique, oriente sa réflexion sur la genèse du psychisme « depuis l’origine » dans son travail clinique avec les bébés, les enfants et leurs parents dans le cadre psychanalytique et étudie les « premières traces sensori-motrices et émotionnelles constitutives de la trame psychique » dans la relation mère-Infans, autour de quelques référents de bases tel Winnicott qui « insiste sur l’importance du geste, de l’activation motrice comme émanation authentique du soi ».

Avec Empreintes, Mireille Fognini, psychologue clinicienne et psychanalyste, nous propose un scénario de clinique-fiction.

Dans Etranger parmi les siens, Elsa Ponce, psychologue clinicienne, doctorante, s’interroge sur la création d’intime énigmatique au cœur de la relation analytique. Y a-t-il dans la cure un espace pour l’écriture de nos corps dans la complexité émotionnelle de relations traumatisées, lorsque les individus s’engagent dans des contrées ignorées voire étrangères.

Vies imaginaires d’Elisabeth Leprince, Ecrire avec et contre la psychose, de Françoise Neau, explore le cas d’E. Leprince qui en séance dit ne comprendre que sa langue, écrit beaucoup, s’acharne à décrire, lister, archiver, dire le monde dans une activité délirante « dont le transfert va se saisir ».

« Ecrire est un geste qui engage le corps autrement que dans l’interlocution de la parole ». « Si je ne vous écris pas, ça me bouffe de l’intérieur », écrit-elle à sa thérapeute.

Dans la dernière partie, intitulée Cultures, l’article de Georges-Arthur Goldschmidt s’intéresse au mouvement des jeunesses allemandes Wandervogel (oiseaux migrateurs). Y est évoquée la question du corps et l’obsession de la pureté et de l’eau claire, de la nourriture simple et de la vie au grand air comme aspect fondamental du problème allemand. Un article passionnant sur la manière dont le nazisme a pris place.

« C’est par la jeunesse que les dictatures se mettent en place et le nazisme eut pour base le détournement des mineurs […] Ces six derniers mois de 2015, illustrés, si on ose dire, par les jeunes djihadistes montrent l’extrême actualité d’une question, disait-on, rebattue ».

G-A. Goldschmidt retrace la naissance de ce mouvement de jeunesse le wandervogel (Les oiseaux migrateurs). Il y avait d’un côté le pouvoir érotique du Wandern et de l’autre le corps refoulé qu’il convient de dresser. Mais par cette culture du corps « avant tout militaire où le corps devait se durcir pour devenir un instrument servant l’exercice du nazisme », il s’agissait de « développer la sauvagerie disciplinée telle qu’en effet on l’a vue à l’œuvre et telle que l’a fait Daesh, la sauvagerie, la violence et le meurtre érigés en principe ».

Gilles Bibeau évoque quant à lui, dans un article passionnant intitulé Construction vagabonde d’un mythe de l’américanité : Jack Kerouac et Neal Cassady, la vie et l’œuvre de Jack Kerouac dont le travail d’écriture fut à la fois un travail de restauration identitaire et une entreprise de rédemption, sachant combien l’écriture a été un élément de survie dont l’œuvre pourtant l’a anéanti. Présenté comme icône d’une génération, le mouvement Beat Génération, avec On the Road, « il reçut cette célébrité comme une condamnation ». Son œuvre dans la lignée d’un François Villon ou d’un Genêt à l’américaine mais surtout son écriture novatrice à la prose spontanée si intimement liée à sa vie lui a fait connaître un succès fulgurant auquel il n’était pas préparé. La Beat Génération dont Kerouac, Ginsberg et Burroughs furent les figures fondatrices, brisait les formes littéraires existantes et développait un nouveau style de roman largement autobiographique, mêlant critique sociale, réflexion philosophique, surréalisme à l’américaine et élément de mysticisme oriental, nous rappelle Gilles Bibeau.

« Je suis convaincu qu’il faut lire Kerouac comme un écrivain mystique qui s’est engagé à travers l’écriture, sur un chemin semblable à celui d’un Sadhana ». Un écrivain qu’on a considéré comme fou, violent et alcoolique mais qui en réalité vivait dans une détresse extrême, engagé résolument dans l’une et l’autre voie, celle du voyage et de l’errance et celle de l’exploration religieuse catholique et bouddhiste.

« Pour Kerouac, écrire c’était vivre et vivre c’était écrire ».

Traces sensorielles dans un travail de culture en souffrance par Ellen Corin, psychanalyste, professeur d’anthropologie et de psychiatrie, interroge la question de l’origine de la blessure dans le récit de soi. Est-ce « une blessure de l’origine ? Une blessure de mort ? Celle du pulsionnel ? Comment parler du commencement ? Du avant le commencement, d’avant les mots… ? » Les mots qui ne sont que la trace de la souffrance mais la chair des mots, leur souffle, la voix. « A un certain moment de la cure analytique l’enjeu va être de faire une place à ces représentations sensorielles et de trouver les mots qui les rendent figurables ».

L’art contemporain accomplit ce trajet en mettant en œuvre la chair des mots ou en faisant appel à des images au plus près d’une sensorialité première. Elle prend pour exemple Marguerite Duras et l’épuration d’un texte à un autre (ici Barrage contre le pacifique et L’Amant, qui raconte la même chose).

« Les livres sortent après de longs, d’infinis silences » dit M. Duras. Pour autre exemple les dessins du peintre yougoslave Velickovic habité par les scènes de violence du Belgrade de son enfance. Velickovic qui dit que sans le dessin, il assommerait le monde, et le dessin comme nécessité quotidienne donc.

Dans La Parole voilée : quelques exemples iraniens, Anne Roche, professeur émérite de littérature contemporaine et écrivain, envisage l’écriture du « sensoriel » par des exemples pris dans la littérature iranienne et une culture qui au contraire de ce qui a été dit précédemment ne surexpose pas le corps mais le dissimule et est bien l’objet de divers interdits. Elle interroge sur la question de l’écriture de soi dans ces cas précis et propose d’élargir la dimension d’autoreprésentation et d’authenticité que suppose le genre. Elle précise que la plupart des écrivains écrivent en exil et ont pour point commun « la parole en situation de contrainte voire de violence ».

La religion, obsédée par le corps, tient une place importante dans cette littérature où le corps de la femme est dissimulé, dans un univers fait de complicité féminine et où les interdits évidemment sont intériorisés.

La sensorialité y a sa place dans des sensations liées à l’enfance et à la nature. « Les solutions d’écriture » passent alors, pour dire le corps, le plus souvent par la poésie et ses images. Prenant pour exemple, entre autres nombreux, l’auteur Shahriar Mandanipour, elle écrit : « l’auteur désireux de parler d’amour sans encourir la censure pioche d’abord dans la poésie classique persane dont le lexique est notamment botanique : les seins de l’aimée sont des grenades, son sexe une jacinthe… », au risque comme l’évoque l’auteur « En censurant un roman d’amour iranien » de rendre le roman incompréhensible : « j’ai étouffé et étranglé tant de phrases que mon roman […] n’est plus cohérent ». On suppose ironiquement que l’écrivain doit être capable d’écrire « une histoire d’amour islamiste. Et si elle se trouve post-moderne eh bien tant mieux ».

A ce niveau le roman devient politique et « il devient de plus en plus apparent, sous le badinage auctorial, que l’écriture du corps est elle-même politique ».

L’article de Fabrice Mourlon, La place du corps dans les récits des survivants du conflit nord-irlandais, exprime la difficulté et le danger de recueillir la parole de personnes traumatisées dans les sociétés post-conflits pour quiconque comme il l’a fait pour son étude n’est pas formé à les recevoir.

Lecteur-chercheur, il explique la distance difficile mais nécessaire, la fatigue psychique qui peut s’insérer dans son propre corps à la lecture de ces témoignages et rend compte ici du travail élaboré.

Enfin, en postface, Janine Altounian, essayiste et traductrice, dans son article Lors d’un héritage traumatique, l’écriture de soi inscrit implicitement des corps absents, violentés ou en détresse, évoque le génocide arménien avec des exemples émouvants et notamment les orphelins marqués par l’absence de représentation ou d’identification à des parents non-présentables, où seule l’écriture pour ceux des héritiers qui le peuvent peut « opérer un déplacement de ce rapport ambigu à des attachements étouffants en le dégageant peu à peu de la gangue des sensations où ils étaient enterrés vivants, à vrai dire enterrés vivants ».

Il s’agit alors d’écrire pour inscrire la mémoire des corps violentés ou absents.

 

Marie Josée Desvignes

 


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A propos du rédacteur

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Marie-Josée Desvignes

 

Vit aux portes du Lubéron, en Provence. Enseignante en Lettres modernes et formatrice ateliers d’écriture dans une autre vie, se consacre exclusivement à l’écriture. Auteur d’un essai sur l’enjeu des ateliers d’écriture dès l’école primaire, La littérature à la portée des enfants (L’Harmattan, 2001) d’un récit poétique Requiem (Cardère Editeur, 2013), publie régulièrement dans de très nombreuses revues et chronique les ouvrages en service de presse de nombreux éditeurs…

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