Ecrits sur les langues, Issa Asgarally
Ecrits sur les langues, éd. Super Printing Co. Ltd, Maurice, novembre 2015, préface de Louis-Jean Calvet
Ecrivain(s): Issa AsgarallyLa situation linguistique à Maurice n’est pas un cas unique par sa complexité. Il est bien d’autres états au monde au sein desquels coexistent, s’imbriquent, se mêlent un nombre plus ou moins grand de langues qui s’influencent les unes les autres, qui interfèrent, qui se confrontent les unes aux autres, qui se trouvent, de fait, au moment de l’étude, pour des raisons diverses, placées sous statut hiérarchisé les unes par rapport aux autres.
Ce qui fait pourtant de Maurice un cas particulièrement intéressant, c’est l’exiguïté du territoire (1800 km2) et le total relativement peu important de la population globale du pays (1,3 million d’habitants) concernés par un écheveau apparemment compliqué de langues pratiquées.
Issa Asgarally, docteur en linguistique, professeur associé à l’Institut de l’Education à Maurice, est l’auteur de plusieurs publications, étalées dans le temps, sur ce particularisme mauricien. L’ouvrage Ecrits sur les langues offre au lecteur une compilation bienvenue de ces articles, l’ensemble constituant un essai documenté, riche d’informations permettant d’appréhender comment parlent, écrivent, lisent les Mauriciens d’aujourd’hui, et de comprendre les raisons historiques de cette situation d’un pays qui n’a pas « officiellement de langue officielle »…
L’auteur fait ainsi référence aux vagues successives de peuplement, depuis la tentative éphémère d’implantation des Hollandais, suivie de la prise de possession française, de la colonisation par les premiers habitants français et de l’importation forcée, simultanément, d’esclaves malgaches et d’esclaves africains capturés en différents endroits de l’Afrique occidentale, parlant des langues différentes et ne se comprenant pas entre eux, jusqu’à l’arrivée des coolies chinois et des engagés indiens, tout cela dans le cours historique d’une île successivement possession française, territoire anglais, et république indépendante.
Il retrace les politiques officielles menées sous ces divers régimes et leurs influences sur l’évolution du statut et de la répartition numérique des langues ainsi importées, et distingue les notions d’acclimatement et d’acclimatation linguistique.
Issa Asgarally, à partir des données des derniers recensements qui font état de quatre langues importantes par le nombre de leurs locuteurs et/ou lecteurs (le créole, le français, le bhojpuri et l’anglais) et de langues secondaires (l’hindi, l’ourdou, le marathi, le tamoul, le télégou, le chinois, le goudjerati et l’arabe), analyse le « poids » respectif des langues les plus répandues, fait la distinction entre langue maternelle, langue administrative, langue véhiculaire, langue de communication et langue des médias, langues des échanges commerciaux, langues parlées, langues lues, langues imposées et utilisées à l’école selon le niveau du cursus scolaire, etc.
Le linguiste dresse le constat, dans un autre article, sur la base d’une enquête réalisée auprès d’un panel représentatif, d’un « plurilinguisme réussi » à Maurice, pays qui a pleinement sa place dans le cadre de la Francophonie et dont la langue administrative est paradoxalement l’anglais qui n’est couramment parlé que par environ 0,2% de la population, pays où le français progresse et où l’anglais régresse, pays où la langue très majoritairement la plus parlée est le créole, pays où la langue écrite la plus pratiquée et la plus lue est le français…
Le statut du créole mauricien est l’objet d’une attention particulière de la part de l’auteur, à juste titre puisqu’il est la langue vernaculaire du pays. Est-ce à dire qu’il pourrait à ce titre mériter le statut de langue nationale ? Si l’auteur n’en fait pas une revendication, la question est posée plus ou moins explicitement, en particulier quand Issa Asgarally dénonce le fait que le créole n’ait pas sa place au Parlement, mais aussi quand il aborde le problème des langues utilisées dans le système éducatif public et lorsqu’il s’interroge sur la langue dans laquelle l’enseignement devrait être dispensé.
Il est vrai que les statistiques font argument de poids : « Le créole, langue maternelle de la grande majorité de la population, est la langue véhiculaire par excellence puisqu’elle transcende les ethnies et sous-ethnies, les catégories socioprofessionnelles, les groupes d’âge et les zones d’habitation (urbaines/rurales) ».
Issa Asgarally consacre une autre étude intéressante à la représentation subjective que chaque locuteur se fait et exprime de sa langue maternelle et de celle qui est pratiquée dans les lieux et milieux qu’il est amené à fréquenter. L’étude aboutit aux notions de « langue et exclusion » et de « langue et inclusion ».
Il serait difficile de dévoiler de manière exhaustive la richesse de cette compilation qui aborde par ailleurs d’autres questions « sur les langues » hors du cadre spécifique de Maurice, bien que le cas mauricien en constitue l’essentiel.
On ne peut que recommander la lecture de cet ouvrage qui a le mérite supplémentaire de mettre à mal les nombreux clichés qui figurent dans les représentations que se font de leur(s) langue(s) la plupart des Mauriciens d’une part, et qui constituent la matière des idées toutes faites que transportent les visiteurs de cette île plurilingue.
Patryck Froissart
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