Écrits guerriers, 1914-1915, Remy de Gourmont (par Gilles Banderier)
Écrits guerriers, 1914-1915, mars 2021, 634 pages, 49 €
Ecrivain(s): Rémy de Gourmont Edition: Classiques GarnierDira-t-on que le titre de cette anthologie, par ailleurs remarquable, est mal choisi et qu’en lui réside le seul défaut de l’entreprise ? Car jamais homme, jamais écrivain, ne fut moins guerrier, mieux disposé à goûter les délices de la paix, que Remy de Gourmont (1858-1915), congédié en 1891 de son emploi à la Bibliothèque nationale pour avoir publié un pamphlet, Le joujou patriotisme, où il exprimait sa profonde lassitude devant la propagande déployée au sujet des « provinces perdues », l’Alsace et la Moselle annexées par l’Allemagne.
Ceux, de moins en moins nombreux, qui savent encore que Gourmont a existé se le représentent en général comme un esthète reclus au milieu de ses livres, loin du tapage et du tumulte. C’est bien ainsi qu’il faut l’envisager durant la première année du conflit mondial, ne quittant son appartement du 71 rue des Saints-Pères que pour aller flâner chez les bouquinistes des bords de Seine. Il serait cependant faux d’imaginer un individu ayant choisi de vivre exclusivement dans le passé. L’actualité le rattrapait à son domicile, sous la forme de multiples journaux et d’une abondante correspondance. Et le mouvement s’exerçait également en sens inverse, car Gourmont contribuait à alimenter certains quotidiens en leur confiant des articles, comme ceux réunis dans ce volume.
Il est bien connu que rien ne vieillit plus vite que les textes publiés dans les journaux. Mais, d’un autre côté, les articles de presse, qui doivent concilier concision, expression énergique et rapidité d’exécution, permettent aux esprits les plus déliés de donner le meilleur d’eux-mêmes. Tel est en l’occurrence le cas.
Parmi les articles que Gourmont donna à La France (sous la rubrique modeste « Les idées du jour », comme on parle du plat du jour), au Mercure de France ou au journal argentin La Nacion, certains ont vieilli sans retour, mais ils sont nombreux qui étincellent. Dans l’épreuve qui frappait son pays, Gourmont avait abandonné la rhétorique du Joujou patriotisme, mais ne sombra point pour autant dans la haine de tout ce qui pouvait venir d’Allemagne. On sent cependant à quel point cet authentique cosmopolite répugnait à une guerre entre nations civilisées. Tout en tenant le compte des écrivains tombés au front, jeunes ou moins jeunes (il qualifie Charles Péguy de « puissant poète de l’idée catholique et française, mystique et raisonneur, substantiel et verbeux, objet de haute curiosité intellectuelle », p.499), ayant déjà laissé une œuvre ou simplement riches de promesses qui ne se réaliseront jamais, Gourmont n’oublie pas que le camp adverse avait également jeté dans la fournaise artistes et écrivains. Si, en évoquant Novalis, il constate que « le génie allemand est essentiellement fumeux. Ils excellent à ces propositions à renversement qui semblent contenir un sens, mais n’en donnent que l’illusion », p.318 – comment ne pas penser à Heidegger ? –, il parle aussi de Stefan George, « poète également singulier et célèbre, sorte de Mallarmé allemand et, comme lui révéré par toute une école littéraire » (p.206). Il évoque la mort d’Adèle Hugo, mentionne telle lettre reçue d’Ezra Pound, se moque de l’entrée au Panthéon de Rouget de Lisle (« petit officier, qui eut dix minutes de génie, dont il ne retrouva jamais la moindre parcelle », et désormais « ossements que l’on trimballe en cérémonie et que l’on arrose de discours », p.255-256) ou de la mode des acronymes qui envahissent le français, p.314 (que dirait-il s’il lui était donné de revenir aujourd’hui ?).
Le lecteur qui sait que Gourmont mourra le 27 septembre 1915 avance dans ces lettres avec le sentiment d’un compte à rebours macabre. L’écrivain se montre rarement en-dessous de sa réputation, souvent pessimiste (« Dans la tragédie humaine, la paix ne fut peut-être jamais qu’un entracte », p.48), parfois prophétique : « Écarter les guerres, résoudre pacifiquement les conflits entre nations, cela a toujours été le souci de presque tous les États. Mais, demain comme hier, il suffira de l’ambition d’un homme, d’un parti, d’un peuple, il suffira même d’un événement inattendu, du geste d’un inconscient pour précipiter des mouvements qui ne demandent […] qu’à se mettre en action » (p.300).
Gilles Banderier
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