Echo Saharien, L’inconsolable nostalgie, Intagrist el Ansari (par Patryck Froissart)
Echo Saharien, L’inconsolable nostalgie, Editions Alfabarre, 2018, 160 pages, 19 €
Ecrivain(s): Intagrist el Ansari
De Paris à Tombouctou, en passant par l’Andalousie, Tanger, Tan Tan, Kidal, Timiawen, Gao, Tamanrasset, Nouakchott, Ménaka, Bamako, la lente trajectoire d’un fils du désert quittant la terre d’exil après dix-huit ans de déracinement en deçà des Pyrénées pour marcher sur les traces de ses ancêtres, de sa tribu, de sa famille, de son passé.
Intagrist el Ansari, de la tribu touarègue des Kel Ansar comme son nom l’indique, met en mots ce long périple suivi d’une halte régénératrice d’une année à Tombouctou, le point central du rayonnement pérégrinatoire des Kel Ansar à travers les siècles sur une grande partie de l’ouest saharien.
Qu’on ne s’y trompe pas ! Il ne s’agit pas d’un récit de voyage. Bien qu’il se réfère à maintes reprises à ces illustres prédécesseurs, Intagrist n’est ni l’explorateur René Caillé, ni l’historien géographe Ibn Battûta, ni le conteur voyageur sociologue Ibn Khaldoun.
Il s’agit ici tout à la fois d’un voyage en écriture et d’une écriture en mouvement. Il s’agit précisément tout autant d’une odyssée poétique que d’une poésie en itinérance. Il s’agit parallèlement d’une quête nostalgique génératrice de nouvelles vagues de nostalgie en un va-et-vient qui fait mal et qui fait baume. Il s’agit simultanément d’un cheminement intérieur qui s’opère au fur et à mesure du parcours de retour dans les extérieurs infinis du Sahara natal retrouvé.
Intagrist el Ansari est un poète érudit.
Sa (dé)marche poétique, tranquille et sûre comme celle des longues caravanes de dromadaires, est d’une tonalité toute lyrique, qui rappelle celle de JMG et Jemia Le Clezio dans Gens des Nuages, celle du même Le Clezio dans Voyage à l’île Rodrigues, celle de Chateaubriand dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem, celle de Nerval dans son Voyage en Orient…
Inconsolable nostalgie
Le pèlerinage est ponctué d’émotion. La ressouvenance jaillit qui provoque le frisson (ré)créatif à chaque pas, à chaque geste, à chaque rencontre, à chaque point du parcours, à chaque manifestation de l’irrépressible écho saharien, lors du thé cérémonial, au contact, la nuit, du sable matriciel qui sert de lit au beau milieu du désert, à la vue des venelles de la ville d’étape, à la révélation de la beauté simple d’une théière, à la présence inquiétante des Djinns nocturnes qui s’animent au passage du voyageur et l’accompagnent sur un bout de piste, à l’évocation, en entrant dans Abelessa où se situe son mausolée, de l’une des plus célèbres héroïnes touarègues, la belle reine guerrière Tin Hinan, cette autre itinérante, et puis encore le saisissement qui l’envahit à chaque arrivée, à chacune des retrouvailles, à chaque départ, à chaque séparation, à chaque redéchirure…
Le poète ne peut se retenir d’exprimer par ailleurs, à maintes reprises, par une écriture emphatique empreinte de sensualité, l’exaltation, voire l’exultation qui le transportent lorsqu’il redécouvre, provoquant le ressouvenir de ses amours de jeunesse, au hasard des rencontres, parfois par la seule vision furtive des yeux de braise d’une touarègue enveloppée dans ses voiles bleu ciel, la beauté tant célébrée de ces femmes du désert.
Les légers voiles multicolores flottent au gré des mouvements gracieux, qui attisent les désirs et alimentent les tentations d’une nuit saharienne – un moment divin, sous un ciel bleu, de mille et une étoiles, une soirée de l’imaginaire, de mille et une histoires…
Son itinéraire géographique, se dévidant sur les pistes tracées par les migrations de sa parentèle au sein d’un immense territoire ayant Tombouctou pour centre nombrilique, est aussi une (ré)exploration historique, sociologique (vue de l’intérieur), politique des origines, de l’expansion, de l’épanouissement puis de l’éclatement, conséquence de la colonisation française et des frontières irrationnelles tracées au couteau par la puissance coloniale, des communautés touarègues à l’intérieur de plusieurs nations dont ils ne reconnaissent pas la souveraineté, et qui par ailleurs les considèrent parfois comme « étrangers ».
A noter en parenthèse qu’Intagrist reprend à son compte la thèse controversée de Jacques Hureïki (Essai sur les origines des Touaregs) selon qui les Touaregs seraient originaires du royaume de Saba et non, selon la théorie la plus communément admise, d’origine berbéro-libyenne… Ce qui ne l’empêche pas de se sentir en totale symbiose avec la culture berbéro-touarègue dans l’espace linguistique berbéro-tamasheq, et d’en faire découvrir au lecteur de multiples aspects, tous aussi attirants. Ce qui l’amène à déplorer la situation actuelle des populations touarègues écartelées, dont des centaines de milliers de membres vivent dans d’immenses camps de réfugiés en conséquence des conflits régionaux et de la mainmise des groupes terroristes djihadistes sur une partie de leurs territoires par ailleurs ravagés par les sécheresses successives.
Que sont révolus, hélas, ces temps fastes où « l’abondance du lait procurait vitalité et prospérité » et où « les femmes étaient si belles que l’on pouvait se voir en les regardant ». Toutefois, signe d’espoir, heureusement, « les sécheresses sont passées mais la beauté est restée intacte ».
A l’issue de ce riche itinéraire culturel, l’auteur offre au lecteur un florilège de ses compositions poétiques, un ensemble d’odes sensuelles constituant un savoureux hymne à la femme, symbole, point de mire, aboutissement sans cesse approché, sans cesse distancé, du voyage comme l’est le mirage que poursuit le voyageur à l’appel du désert.
Je traverse le silence, je l’entends murmurer en moi ses désirs,
La sensation du paysage égale l’invisible main qu’elle me passa furtivement sur le corps,
Comme un esprit errant, laissant une trace sensitive de son passage.
[…]
Je marcherai pieds nus sur cette dune, ondulation charnelle, évoquant parfaitement son corps…
Patryck Froissart
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