Écarlates, Jennifer Lavallé (par Parme Ceriset)
Écarlates, Jennifer Lavallé, Pierre Turcotte éditeur, mars 2024, 67 pages, 13,70 €
Ce recueil, qui aborde le thème difficile de l’interruption volontaire de grossesse, s’ouvre avec une immersion dans une « eau sombre éternelle » qui inonde les « couloirs vides de la souffrance ». Cet élément aquatique, qui fait écho au liquide amniotique, est gardien d’un secret : un « enfant éphémère », « oiseau chétif », fut rendu « au bleu des étoiles ». L’auteure écrit pour les « écarlates », ces femmes qui ont vécu une telle épreuve et qui choisissent d’écrire au petit être qui n’est jamais venu, « pour éliminer la peine dans les mots ».
« Je t’aime plus que je ne pourrai jamais aimer, toi qui n’auras jamais ni nom ni chagrin ». Cette décision d’avorter n’est jamais prise à la légère et elle s’accompagne d’une grande souffrance teintée de culpabilité :
« J’ai fait une croix sur toi/ tu avais l’âge de l’aurore ».
Il y a comme un parfum de rêve perdu à jamais :
« les songes sont comme la vague / se brisent et renaissent / Vague parfois douce / souvent glaciale / mer tombeau ».
La tentation est grande de « déchirer ce poème » et « dormir ». Mais, sous le « ciel sombre et redoutable », luit une présence. Celle d’un ange ? « Heureusement tu es là / bain de lumière / douleur dans la chair ».
Aux « aspirations les plus sauvages » succède un « désir d’amour sans limites ». Dans la « douleur de l’absence », il y a prise de conscience de « ce qui aurait pu être », et, même si « ce n’est pas la fin du monde », c’est un « autre monde » dont il ou elle « ne sera pas ».
Ce qui sauve est parfois une bibliothèque, où l’on se sent proche de gens d’autres époques que l’on n’a jamais connus et qui d’une certaine façon apportent joie et réconfort. Et l’écriture aussi : « Peut-être est-elle ici ma liberté / sur cette feuille / où se projettent les espoirs de forêt, fugue d’amour de cinéma ». Écrire aide à « se pardonner », avant de pouvoir « ranger les bribes de poèmes » inondés de larmes et de solitude, puis avancer en parlant aux astres et aux oiseaux, seuls à pouvoir comprendre peut-être, afin de se libérer du passé et de retrouver l’espoir de tracer un nouveau chemin : « J’ai demandé à l’orage / au silence de se taire / La rivière m’a écoutée / Les chemins se sont allongés / Chemins des anges ».
En conclusion, ce recueil bouleversant sensibilise avec force et délicatesse à la situation très douloureuse des femmes qui ont recours à l’interruption volontaire de grossesse, dans un choix qui n’en est pas vraiment un, pour diverses raisons complexes. Il offre également une puissante réflexion sur la vie, cette vie « météorologique », qui « n’attend pas, toujours en mouvement », et dans laquelle le bonheur semble parfois hors d’accès alors qu’il est « simple, si simple qu’on pourrait ne pas le voir ».
L’auteure, dans les dernières pages, retrouve la « Joie vive ».
Parme Ceriset
Jennifer Lavallé est une auteure belgo-française, ayant publié notamment Devenir mer, lac, forêt, aux éditions Bleu d’encre. Après des études de philologie romane et de cinéma, elle travaille comme monteuse et documentaliste.
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