Durarara !! (tome 1), Narita Ryohgo
Durarara !! (tome 1), éd. Ofelbe, octobre 2016, trad. du japonais Nicolas Gouraud, 276 pages, 12,99 €
Ecrivain(s): Ryohgo Narita
Légendes urbaines, gangs, gens étranges et une motarde sans tête qui revient sans cesse : voilà tout simplement ce qui fait le charme quotidien du quartier de Ikebukuro à Tokyo. Sous les apparences d’un roman au prime abord un poil décalé tant le genre est particulier, Durarara !! se révèle être en réalité à mesure des pages qui s’envolent une aventure hors norme dans un Tokyo tout aussi délirant que inquiétant.
Il faut constater la première force de ce roman : Durarara !! n’est pas un livre pour la jeunesse qui s’embarrasse de douceurs sirupeuses et de petites histoires plates qui respectent la bienséance, c’est un roman exigeant et dépaysant qui s’attache à proposer une aventure étrange qui ne ressemble en rien à ce que l’on peut lire habituellement. Certes le synopsis de base ne surprend guère – un jeune garçon banal en soif d’aventures qui pourraient pimenter son quotidien – pour un roman que nous devinons facilement être d’apprentissage (le light novel grandissant avec son public au fur et à mesure de la publication des tomes).
Mais c’est la façon dont l’histoire se construit et s’enchaîne et les rencontres avec les personnages qui surprennent le lecteur et le retiennent prisonnier dans ses pages : Durarara !! parle avant tout d’une galerie de personnages humains aux motivations complexes et qui s’entrechoquent les unes avec les autres dans une guerre des gangs qui ne manquera pas d’avoir lieu. Règlements de compte entre gangs qui cherchent à occuper le territoire et le pouvoir, soupçons de fantastique et mystères lugubres sont tapis dans l’ombre et l’ambiance oppressante que dégagent les lignes du roman est à coup sûr un argument qui fait que le lecteur arrive difficilement à lever les yeux… Une belle force de frappe de la part d’un style aérien que nous n’attendions pas de la part d’un tel roman qui sait vite séduire son lectorat.
Il faudra cependant un peu se forcer au début de sa lecture, les premières pages présentant le décor de façon décalée qui font que l’on puisse se sentir un peu perdu mais le héros arrive dès le deuxième chapitre et apporte avec lui un vent de changement inédit dans le quartier de Ikebukuro !
Un pitch façon « fatality »…
Un héros ? Mikado Ryûgamine, un lycéen, classique. Que fait-il ? Il déménage chez son ami d’enfance à Ikebukuro, quartier cosmopolite de Tokyo. Pourquoi ? Lassé de sa vie plate et monotone, Mikado rêve comme tout héros qui ne se connaît pas encore d’une vie plus exaltante dans la capitale de tous les possibles. Mais comment réussit-il à s’émanciper alors qu’il est encore mineur ? À force de promesses à ses parents et de persuasions qui clament sa responsabilité et son envie d’ailleurs.
Jusque-là, rien de très surprenant. Mais Mikado nous surprend néanmoins par le caractère insolite de son emménagement : en effet, il part vivre chez son ami d’enfance Masaomi Kida qu’il n’a pas revu depuis l’école primaire et qui côtoie un monde bien inquiétant rempli de gangs et de légendes urbaines qui rythment son quotidien… L’excentricité de la démarche est caractéristique de l’essence même de Durarara !! car c’est cette décision qui va entraîner avec elle toutes les péripéties malheureuses qui vont s’abattre sur Mikado, et ce bien malgré lui (de la même façon que le simple croquage d’une pomme a entraîné avec elle le début de la fin !). Et c’est sans doute à cela que l’on reconnaît une bonne histoire : lorsque son début épouse bien la suite des événements et que ceux-ci nous apparaissent alors comme une fatalité inéluctable…
Dans un Tokyo urbain qui multiplie une mythologie et des personnages complexes…
Durarara !! puise ses forces dans l’univers sombre qu’il installe, la « mythologie » urbaine qui se créé autour de ce Tokyo très singulier et la galerie de personnages loufoques qui s’y cachent et que l’histoire nous présente en multipliant les points de vue internes. Car Tokyo prend vie sous nos yeux dans une forme peu habituelle : certes, Tokyo est une ville riche, cosmopolite et technologique, mais dans Durarara !! Tokyo relève également d’une facette violente qu’on ne lui connaît que très peu qui participe à la construction de la mythologie folklorique des différents gangs introduits dans l’histoire et dans lesquels nous allons nous retrouver happés, comme Mikado, bien malgré nous mais pour notre plus grande surprise…
Et cette facette violente nous est introduite d’une façon bien originale car le roman s’ouvre sous une fenêtre de conversation virtuelle entre deux jeunes gens dont nous ignorons tout et dont les conversations inquiétantes parsèment le roman tout en participant à la construction de la mythologie urbaine du Tokyo de Durarara !! La capitale japonaise n’est pas seulement le théâtre décoratif d’une histoire qui aurait pu prendre place ailleurs : dans le roman, Tokyo prend littéralement vie et se crée sa propre identité via les folklores urbains qui nous sont rapportés par les rumeurs d’Internet (d’ailleurs il est agréable de lire une histoire s’inscrivant dans son temps et qui reprend les technologies de nos quotidiens), les drôles d’histoires de Massaomi Kida et les gangs qui rythment la vie de Ikebukuro. On n’imagine donc pas les personnages vivre ailleurs, ils appartiennent à ce Tokyo drôlement charismatique qui leur sied à merveille et que l’auteur a su s’approprier…
Mikado est un typique lycéen au caractère idéaliste et rêveur mais il va se retrouver vite désillusionné face aux épreuves qui l’attendent : et n’est-ce pas cela qui fait la jeunesse grandir et qui se retrouve très bien transcrit dans Durarara ? La confrontation des valeurs innocentes avec la violence de la réalité, bien qu’un brin exagérée ? Car Mikado va vite se retrouver confronté avec des personnages hors du commun à la puissance parfois titanesque ou non humains dans un Tokyo où les gangs cherchent à trouver leur place et imposer leur suprématie. Ce déferlement de violence qui devrait l’effrayer dans un premier temps va l’amener à se remettre en question et abandonner ses derniers restes d’enfance : lui qui n’aspirait qu’à une vie plus mouvementée va se retrouver surpris de voir des personnages qui peut-être ne cherchent qu’un peu de tranquillité en faisant usage de leur violence… Certains cherchent leur passé, d’autres du pouvoir, d’autres parfois ne se comprennent tout simplement pas…
Certains sortent du lot – mentions spéciales à l’incontournable Celty, la motarde sans tête qui rythme le roman, et Shizuo dont les personnalités savent se rendre attachantes et intrigantes – et bien qu’ils soient pour la plupart effrayants et étranges, la curiosité l’emporte sur le reste : qui sont-ils et pourquoi sont-ils là ? Car même en lisant, on arrive encore à s’étonner de s’attacher à des personnages que nous sommes supposés détester…
Avec Durarara !! on plonge dans un Tokyo certes violent mais vibrant en plein cœur d’une guerre des gangs haletante où les envolées humoristiques sont également plus que bienvenues. Une lecture exigeante pour lecteurs exigeants tant l’histoire est riche et particulière de par les enjeux humains qui s’y entremêlent et la complexité de ses personnages qu’on finit par apprécier et ne plus vouloir quitter.
Priscila Selva
N.B. : Trois tomes sont parus à ce jour au prix de 12,99 €
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