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Dune, le Mook, Sous la direction de Lloyd Chéry (par Yann Suty)

Ecrit par Yann Suty le 14.12.20 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Dune, le Mook, Sous la direction de Lloyd Chéry, Editions L’Atalante & Leha, novembre 2020, 256 pages, 22,50 €

Dune, le Mook, Sous la direction de Lloyd Chéry (par Yann Suty)

 

 

Certains livres déchaînent des passions, des fantasmes, créent autour d’eux une vaste communauté de fans qui échangent, s’invectivent, échafaudent des théories. Plus on glose autour d’une œuvre, plus elle est sujette à différents niveaux de lecture année après année, génération après génération, plus il est tentant de croire qu’on tient une œuvre à part.

Dune, le roman de Frank Herbert publié en 1965, jouit de ce statut culte. Culte car adoré d’un petit groupe, même si, en l’occurrence, les fans de la saga intergalactique sont légion. Le livre a été vendu à des millions d’exemplaires à travers le monde et la sortie prochaine d’une nouvelle adaptation cinématographique, par Denis Villeneuve, devrait encore renforcer sa notoriété et attirer de nouveaux lecteurs.

Certains trouvent le roman hermétique, confus, empli d’un jargon incompréhensible. Dune n’est effectivement pas un livre qu’on lit, mais qu’on relit. Il est nécessaire d’en maîtriser le vocabulaire. Il s’agit presque d’apprendre une nouvelle langue. Pour certains, c’est une contrainte insurmontable alors que pour d’autres cela devient un plaisir. Ils considèrent ce livre comme un chef d’œuvre, et pas seulement de la littérature de science-fiction, de la littérature tout court.

Des amateurs sont capables d’en débattre à n’en plus finir. Il y a toujours des choses à dire, le livre peut être étudié selon différentes perspectives auxquelles n’avait d’ailleurs pas forcément pensé Frank Herbert. L’auteur est ainsi considéré comme un visionnaire, qui a entrevu des mouvements et des tendances des années avant tout le monde.

Dune est un roman à l’histoire complexe. En l’an 10191, la famille Atréides est contrainte de s’installer sur Arrakis. Très vite, le patriarche de la famille, le duc Leto, soupçonne un complot mené par ses ennemis jurés, les Harkonnen. Ils se font bientôt attaquer. Son fils, Paul, et sa femme, Jessica, parviennent à s’enfuir.

La planète Arrakis est aussi appelé Dune, car elle est recouverte de sable. Elle est la seule à produite l’épice, une substance qui permet d’ouvrir l’esprit, mais aussi de voyager dans l’espace. Y habitent les Fremen, un peuple du désert. Quand ils voient arriver Paul Atréides, ils croient voir en lui celui qui permettra d’accomplir la prophétie de l’arrivée d’un homme providentiel.

Le roman s’interroge sur la question du pouvoir. Les leaders politiques, mêmes bien intentionnés, peuvent prendre des mauvaises décisions pour leur peuple. Le livre peut être lu comme une variation shakespearienne sur une famille qui se déchire. C’est aussi un manifeste écologique. La planète Dune est recouverte de sable et il est question de moyens de subsistance, de préservation de l’environnement. Le roman interroge aussi sur la religion et le fanatisme, sur la place de la technologie dans le développement de l’homme, ou encore sur le féminisme. Chaque lecture peut être orientée.

Dune, le Mook est un projet issu d’un financement participatif piloté par Lloyd Chéry, qui ausculte le livre à travers cinq thématiques : Frank Herbert et la genèse de l’œuvre, l’univers de Dune, les personnages, les adaptations et les réflexions.

La force de cet ouvrage, c’est le format court choisi pour les articles. Les contributeurs vont à l’essentiel, avec des argumentaires très clairs, à condition, bien sûr, d’être familier avec l’univers de Dune et ses concepts comme le Kwisatz Haderach, l’épice, les Bene Gesserit… Certains articles sont des modèles de pertinence. Il y en a au total près de 80 et, à deux ou trois exceptions, ils sont tous d’un beau niveau. Les analyses sont fines, avec juste ce qu’il faut d’érudition, et stimulent la réflexion.

Pour faire la fine bouche, on pourrait reprocher la trop grande place accordée aux adaptations en jeux vidéo. La partie « Adaptations » est d’ailleurs la plus développée, avec celle en partie ratée de David Lynch et celle fantasmée de Jodorowsky et qui apparaît d’autant plus belle qu’elle n’a jamais existé. D’ailleurs, on se demande si elle aurait vraiment été intéressante. Il est permis d’en douter… Enfin, le mook se penche sur celle à venir de Dennis Villeneuve, avec une interview du réalisateur à la clef. Le film n’étant pas encore sorti, on se retrouve dans les limites de l’exercice où il s’agit d’une présentation de quelque chose à venir, donc sans possible critique. Le mook devient ainsi, bien malgré lui, un support de promotion…

La partie « réflexion » aurait pu être aussi plus développée. Le principal défaut de ce mook est qu’il n’insiste pas assez sur le côté littéraire. Car il ne faut pas oublier que Dune est avant tout une œuvre de littérature et pas un manuel de sciences ou de géopolitique… Même s’il y est fait allusion dans certains articles, le côté littéraire n’est pas assez accentué. Il aurait peut-être été intéressant d’insister sur la façon dont Frank Herbert a puisé dans Shakespeare ou bien de développer davantage le parallèle avec Le Prince de Machiavel. A côté de ces considérations faciles (une famille qui se déchire, c’est Shakespeare, une œuvre politique, c’est Machiavel), il aurait pu être intéressant d’établir des connexions avec d’autres œuvres littéraires sur le thème du pouvoir aussi bien en littérature générale (La fête au bouc de Vargas Llosa, L’automne du patriarche de Gabriel Garcia Marquez, Diadorim, de Joao Guimaraes Rosa, Mémoires d’Hadrien) qu’en science-fiction (1984 de George Orwell, Frankensteinde Mary Shelley). Une analyse sur l’écriture de Frank Herbert aurait aussi pu être pertinente.

Ces quelques critiques négatives ne doivent pas occulter la grande qualité de ce projet. Il donne envie de se replonger dans la lecture de Dune et c’est sans doute là l’essentiel.

 

Yann Suty


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A propos du rédacteur

Yann Suty

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Yann Suty est écrivain, il a publié Cubes (2009) et Les Champs de Paris (2011), chez Stock