Duetto, Sylvie Payet Amélie Nothomb (par Murielle Compère-Demarcy)
L’intérêt de la collection Duetto est de donner carte blanche à un écrivain pour nous parler d’un autre écrivain. Le choix de Sylvie Payet – formatrice, correspondante de presse, auteur du recueil de nouvelles À fleur de peau paru en 2016, du roman Camélia rouge paru en 2017 chez L’Harmattan, de La Baie fait un somme, coécrit avec Philippe Lacoche et paru aux éditions Cadastre8Zéro en 2018 – s’est porté sur la romancière belge francophone Amélie Nothomb dont Stupeur et tremblements a réorienté sa trajectoire professionnelle.
Nous sommes en 2002, Sylvie Payet, alors « fonctionnairedans une direction d’un service déconcentré de l’État », lit Stupeur et tremblements, publié en 1999, couronné la même année du Grand Prix du Roman de l’Académie française. Un livre dans lequel Amélie Nothomb, jeune écrivain encore inconnue, raconte son expérience comme stagiaire dans l’entreprise japonaise Yumimoto (le livre sera adapté au cinéma) et dont, affirme Sylvie Payet, « la lecture bouleverse le sens de(s)a vie ». Une tranche de vie du Japon à la France s’écrit ici, deux expériences similaires se rencontrent, deux destins se croisent – rencontre concrétisée cet automne 2018 par le fruit littéraire de ce Duetto.
Le roman comme miroir de la société trouve son illustration parfaite dans ce Duetto. La similitude de la situation professionnelle de Sylvie Payet, au moment où elle saisit le roman d’Amélie Nothomb comme bouée de sauvetage ou tremplin avec le personnage central de Stupeur ettremblementsde la romancière Amélie Nothomb, est éloquente. Acculée à une impasse suite à une modification de ses missions, la fonctionnaire publique d’Etat Sylvie Payet se retrouve dans la même souffrance de situation professionnelle qu’Amélie San, face à « sa descente aux enfers dans l’impossibilité d’accomplir le travail demandé ». Le livre d’Amélie Nothomb va littéralement la sauver : « je ne cesse de comparer nos expériences » écrit Sylvie Payet, « je me console, je nesuis plus seule, enfin ! ». L’expérience de la narratrice renvoie à notre auteur l’absurdité de sa propre situation.
Ce livre résonne. Combien de personnes ne subissent-elles pas aujourd’hui ce burn-out dans un contexte socio-économique professionnel peu regardant vis-à-vis de l’épanouissement individuel de ceux qui travaillent ? Il résonne par la planche de salut trouvée grâce au processus d’identification que peut opérer un livre, via l’un de ses personnages, par ses mots et son intrigue agissant avec une véritable force thérapeutique. Ce livre enfin résonne grâce au carburant naturel de son récit autobiographique. Le lecteur est capté, captivé, tenu en haleine par le livre mis en abyme en quelque sorte, à l’écoute d’une expérience qui pourrait un jour être la sienne. Pour reprendre à son compte les mots de Stendhal, Sylvie Payet pourrait dire « Le roman Stupeur et tremblements est un miroir qui m’a sauvé le long de mon cheminement professionnel » (Stendhal déclarait « Un roman, c’est un miroir qu’on promène le long d’un chemin »).
Le bouleversement provoqué par le roman ne s’arrêta pas là, puisque à l’origine d’un changement de parcours professionnel finalement décidé par Sylvie Payet qui quitta la fonction d’État, commença une correspondance avec l’écrivain qui l’avait sortie d’une impasse néfaste pour sa santé, correspondance toujours en cours aujourd’hui. Ce livre est donc aussi l’illustration d’une fidèle amitié tissée au fil du temps entre une romancière et sa lectrice, ce genre d’histoire non achevée, toujours en cours d’écriture, spontanément et généreusement entretenue par Amélie Nothomb, sa « plus belle histoire d’amour » sans doute…
L’intérêt de la collection consiste à proposer aussi la version numérique du livre : « Découvrir des auteurs, donner l’envie de se replonger dans les “classiques”… c’est ce que propose la collection Duetto. Le concept est simple : un écrivain en raconte un autre. Le texte est court, vivant, enlevé. Et la lecture se fait dans le métro, le train, au café ou à la plage… sur smartphone, tablette ou ordi ».
Murielle Compère-Demarcy
- Vu : 2015