Du pétrole sur l’eau, Helon Habila
Du pétrole sur l’eau, traduit de l’Anglais (Nigeria) par Elise Argaud, avril 2014, 289 pages, 22,80 €
Ecrivain(s): Helon Habila Edition: Actes Sud
La malédiction de l’or noir
Rufus est un jeune journaliste qui accepte une mission périlleuse, celle de retrouver une anglaise, enlevée par les rebelles, et de la ramener à son mari.
« Les jours précédents, il avait vu son visage accolé à celui de son épouse dans les journaux et à la télévision. Un ingénieur britannique travaillant pour une compagnie pétrolière, dont la femme, sortie seule, n’était jamais revenue – elle avait dû être enlevée par les rebelles ».
Accompagné de son ami et mentor, Zaq, un journaliste expérimenté et alcoolique, Rufus entame une descente du delta du Niger sur la piste de ces kidnappeurs. La description des vingt premières pages est retentissante tant par son style que par son contenu. En effet, Helon Habila se sert des mots comme d’un appareil photographique. Ses mots colorent de noir la nature du pays de l’or noir : le Nigéria. Même si le terme « écocide » n’est jamais prononcé, le lecteur ne peut que constater le désastre causé par le pétrole et les torchères à la nature et aux hommes.
« On aurait dit qu’une épidémie avait décimé le village. Son centre était dominé par une plate-forme carrée en béton à la manière de quelque autel sacrificiel. Tout autour de la plate-forme était disséminé un attirail d’objets abandonnés servant au forage (…) L’atmosphère s’alourdissait de la puanteur flottante de matières putréfiées. Suivant un coude de rivière, nous aperçûmes devant nous sur des branches d’arbres des oiseaux morts étendus les ailes déployées, noires et poisseuses de pétrole ; des poissons bondissaient hors de l’eau entre les racines des arbres, montrant leur ventre blanc ».
Cette barque de fortune, conduite par un vieillard sans âge si semblable à Charon, mène l’équipage vers les régions infernales et souterraines. A chaque escale, les personnages et le lecteur assistent à un spectacle d’agonie, de mort et de violence. Face aux exploitations éhontées des matières premières, aux traitements inhumains et criminels que les firmes occidentales infligent à la population locale la livrant à une mort certaine, le lecteur est désemparé car il ne sait plus qui est dans le droit ou qui ne l’est plus.
Du pétrole sur l’eau est un roman initiatique pour Rufus qui découvre le réel métier du journalisme et ses dangers. Cependant Rufus est loin d’être un ingénu, sa famille a été victime d’un dommage collatéral entre les firmes, leurs pipe-lines et la corruption de son pays. Ce voyage au bout de l’enfer, ce périple sur le Styx, permet au jeune homme d’embrasser du regard l’état de déconfiture du Nigéria, son pays. Il le renforce dans sa certitude d’un monde injuste et inégal dans sa répartition des richesses Nord/Sud.
Alors on pourrait poser la question suivante au terme de la lecture de l’œuvre : « Y a-t-il un espoir possible ou la promesse d’un avenir meilleur où les hommes parviennent à vivre en paix ? ».
L’auteur semble y répondre en campant un personnage atypique, le prêtre Naman qui vit dans un sanctuaire entouré de ses fidèles pacifiques non loin du village d’Irikefe.
Du pétrole sur l’eau est un roman « coup de poing » car il nous oblige à réfléchir sur les méfaits de la mondialisation qui accélère les inégalités entre pays riches et pays pauvres. Par la puissance du verbe, le roman nous interroge sur notre dépendance au pétrole, notre attitude de consommateur indifférent et les conséquences que cela génère sur les populations appauvries vivant à des milliers de kilomètres, loin de notre regard et de notre confort quotidien.
Du pétrole sur l’eau est une œuvre littéraire de haute facture tant par la qualité de l’écriture que par les thématiques qu’elle étudie. C’est un roman oscillant entre une poésie tragique et une littérature engagée de grande envergure.
Victoire Nguyen
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