Dis-leur qu’ils ne sont que cadavres, Jordi Soler
Dis-leur qu’ils ne sont que cadavres, traduit de l’espagnol (Mexique) par Jean-Marie Saint-Lu, septembre 2013, 236 pages, 18 €
Ecrivain(s): Jordi Soler Edition: Belfond
Eh bien, voilà un livre à plusieurs entrées – toutes, portes riches –, qui nous permet ainsi, plusieurs voyages. Pas vraiment étonnant, avec la signature poétique, et burlesque de Jordi Soler – un des grands noms de la littérature espagnole actuelle ; un barroco à la hauteur des grands retables de Salamanque.
Il y a l’entrée – Irlande ; magnifique, musicale, éclairée, comme il se doit par cet Irlandais d’adoption qu’est J. Soler, qui vous la décline à tous les parfums de l’infini de ses bières : « la tourbe… est vendue en lingots sombres dans les supermarchés, se place dans la cheminée ou le poêle, comme si c’était un tas de rondins ». Odeurs, pluie, une Irlande-de-livre…
Il y a l’entrée – Mexique ; couleurs violentes d’un baroque bavard et mystérieux, dans lequel, par moments, passe le souvenir de cet autre hispanisant, l’écrivain chilien Hernan Rivera Letelier, dans son inoubliable Art de la résurrection. Soler, là encore, est en pays de connaissance ; il est de ce pays.
On peut encore, avec compassion émue, passer la porte par Antonin Artaud, le poète fou des Surréalistes, celui qui serait aujourd’hui garé dans la case « maniaco-dépressif ; tendance hallucinatoire », mais, qui serait soigné, et qui ferait les beaux soirs des émissions littéraires de la TV ; qui mourut après guerre, de sa maladie mentale, après une vie de souffrances rares, d’hospitalisations en asile – 9 ans d’électrochocs, d’excès de laudanum et d’essais thérapeutiques loufoques… « La folie christique, comme il disait… Artaud était sur son cheval, avec son impeccable costume noir, atteint par le peyotl, s’exprimait avec une théâtralité qui faisait sourire le groupe qui l’accompagnait, un peloton de Tarahumaras silencieux… qui entouraient cet homme étrange, pour l’empêcher de tomber dans le ravin ». Accès psychiatrique bien réel dans la vie d’Artaud, au croisement des années 36/37, largement étayé par les drogues, qui déboucha sur « la ligne où commença cette histoire – et, l’année d’après, j’allai chercher ce Dieu de charité éternelle chez les Irlandais ».
C’est à Artaud qu’on doit le dire, en période allumée, de la phrase titre « dis-leur qu’ils ne seront que cadavres… ».
Et, Jordi Soler d’enfourcher l’aventure échevelée, impayable, et folle, tout aussi bien, de son héros, un diplomate – en milieu d’échelle (sa hantise étant de finir « dans un bureau humide à Mexico, où je serais enfermé pour tamponner des passeports »), pas bien clair sur le plan de l’équilibre – quelle sexualité, avec sa femme croate ; quelques pages corrosives !! entouré d’un poète centenaire, d’un jeune livreur de tourbe, à prétentions littéraires, d’un ménage de français, les « Lapin », complètement déjantés, les voilà tous, arpentant les chemins irlandais, en quête – véridique ? fantasmé ? plausible, à coup sûr, de la canne de Saint Patrick – la vraie ? encore autre chose, planquée au fond d’une église de campagne… Chasse aux reliques, les fausses étant, on le sait, les plus goûtues déjà, au Moyen-Age. Si, de surcroît, on vous dit que l’attelage croisera des « terroristes » façon IRA, en goguette, avec un « boucher d’Antrim » poseur de bombes, gros comme un nain-dé à coudre, et un chauffeur homosexuel pas tout à fait refoulé, il y a fort à parier que, un bock de Guinness en main, vous vous laissiez aller à ce moment de jouissante folie qu’est ce livre, écrit – la pinte n’en sera pas plus chère, au meilleur de la plume de Jordi Soler, le solaire : « je m’apprêtai à sortir du pub tandis qu’ils étaient tous encore assis, offrant leur profil aux chaleureux coups de langue du feu dans la cheminée. Avant de passer la porte, tout en nouant autour de mon cou, les ferrets de ma redingote, je dis, sans crier mais d’une voix de tonnerre, d’une voix hyperboréenne, d’une voix de père et d’oiseau solaire : shall we go ? » et nous de répondre : yes, Sir !
Martine L Petauton
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