Dire Arbre, Michel Lamart
Dire Arbre, Michel Lamart, La Porte, 2017
Ecrivain(s): Michel Lamart
L’on sait tout le soin que met Yves Perrine, avec sa maisonnette d’édition La Porte, à faire exister des écritures singulières, à rebours des modes qui s’épanouissent dans les chapelles littéraires.
Dire Arbre en est un remarquable exemple.
Que dis-je
Quand je dis
Arbre ?
Qu’en pensent
Ces racines
Qui sont miennes ?
Qui suis-je
Quand je pense
Arbre ?
Vivifiant recueil.
Vivifiant, car présentant la même délicieuse indifférenciation, entre l’arbre et l’homme, que celle qui existe entre la mer et la terre, entre la mer et le ciel, telle que Proust l’a décrite :
« Parfois à ma fenêtre, dans l’hôtel de Balbec, le matin quand Françoise défaisait les couvertures qui cachaient la lumière, le soir quand j’attendais le moment de partir avec Saint-Loup, il m’était arrivé, grâce à un effet de soleil, de prendre une partie plus sombre de la mer pour une côte éloignée, ou de regarder avec joie une zone bleue et fluide sans savoir si elle appartenait à la mer ou au ciel ».
Cette indifférenciation est cette joie par quoi la musique de l’humain se fait ; nous fait.
Ce recueil nous invite à ce geste infime et considérable : étreindre un arbre (à l’abri des regards, dans le ventre de la forêt).
Étreindre un arbre procure le même bonheur que celui qui m’a pris par la main (pour ne plus la lâcher, de longues heures durant) lorsque j’ai visité l’exposition Aménophis III au Grand Palais en 1993, devant un « fragment d’une tête de la reine Tiy » en Jaspe jaune datant de la XVIIIe dynastie, fragment que j’ai retrouvé, avec le même bonheur caressé par le temps, bien plus tard au Metropolitan Museum of Art de New York.
Il s’agit d’étreindre un arbre avec la même félicité que celle qui s’est emparée de Jorge Luis Borges, un jour, à l’hôtel Esja, à Reykjavik, en Islande : « Il y a, au cours de l’existence, des faits modestes qui peuvent être un don. Je venais d’arriver à l’hôtel. Toujours au centre de ce clair brouillard que voient les yeux des aveugles, j’explorais la chambre indéfinie qu’on m’avait attribuée. En tâtant les murs, qui étaient légèrement rugueux, et en contournant les meubles, je découvris une grande colonne ronde. Elle était si grosse que je pus à peine l’encercler de mes bras et que j’eus du mal à joindre mes mains. Je sus tout de suite qu’elle était blanche. Massive et ferme elle s’élevait vers le plafond. Pendant quelques secondes je connus cette curieuse félicité que procurent aux hommes les choses qui sont presque un archétype. Je sais qu’à ce moment-là je retrouvai la joie élémentaire que j’avais éprouvée quand me furent révélées les formes pures de la géométrie euclidienne : le cylindre, le cube, la sphère, la pyramide » (Atlas, ouvrage en collaboration avec María Kodama, traduit de l’espagnol par Françoise Rosset, Gallimard, 1988).
Matthieu Gosztola
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