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Dictionnaire de la controverse, Cincinnatus, volume 4, de Q à Z Abécédaire de la bêtise (éditions de Londres)

Ecrit par Michel Host le 04.01.17 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Dictionnaire de la controverse, Cincinnatus, volume 4, de Q à Z Abécédaire de la bêtise (éditions de Londres)

 

6 extraits du Dictionnaire de Cincinnatus (vol. 4)

Suivis, en fin de document, de quelques mots de Michel Host

 

I) Radicalisation

nom commun ; exemples : il y aurait en France cinq cents jeunes radicalisés dans les collèges et les Lycées.

Radicalisation est le nouveau mot à la mode. Hasard de l’ordre du dictionnaire, il se situe entre « Qatar » et « Rafale ».

La radicalisation est présentée comme tenant du pathologique. Être radicalisé, c’est comme se faire mordre par un vampire ; la radicalisation, c’est la vampirisation.

La radicalisation, dans l’imaginaire colporté par les médias et les politiques, c’est le cheikh Dracula qui vit dans son château avec ses chameaux et ses minarets.

Alors que c’est tout simple : l’ennui, l’abandon de l’école, le système de justice, la haine des élites envers la religion, l’imposition d’un modèle de pensée et de vie obligatoire, tout cela et bien d’autres choses rend les gens fous. Les jeunes qui n’ont aucune chance d’accéder à ce modèle qu’on leur impose finissent par le détester ; grâce au spectacle vivant donné par l’État Islamique, ils peuvent enfin rêver d’autre chose. Le Qatar, mais aussi l’Arabie Saoudite et beaucoup d’autres, afin de lutter contre l’influence géostratégique de l’Iran chiite, embêter Israël, et laminer l’Occident dont ils détestent tant les valeurs, financent allègrement l’État Islamique, puis quand ils se rendent compte qu’ils ont ouvert la boîte de Pandore, ils achètent des Rafale à la France.

La boucle est bouclée.

Le cheikh Dracula est content.

 

II) Rentrée littéraire

nom commun ; exemples : le dernier livre d’Amélie Nothomb illuminera la rentrée littéraire.

Avant il y avait la rentrée des classes, puis il y eut la rentrée, maintenant on a la rentrée littéraire. La vraie année française c’est l’année scolaire. Le calendrier commence en réalité au début Septembre. L’éducation nationale est la vraie superstructure de la société française. Tout découle de l’éducation nationale, de ses choix, de ses humeurs. Dès lors, pas de surprise que les livres soient recommandés au public français comme les livres de classe sont demandés aux parents des enfants.

La rentrée littéraire, c’est le grand moment pour les éditeurs français. C’est là qu’ils vont lancer tous leurs petits livres, leurs milliers et leurs milliers de petits livres qui vont ensuite encombrer les rayons des douze mille librairies françaises avant qu’un pourcentage situé entre trente et cinquante pour cent de ces mêmes livres soient renvoyés à l’éditeur et passent au pilon : c’est ce qu’on appelle dans le jargon des éditeurs et de la rentrée littéraire le massacre des innocents.

Puis, c’est aussi l’occasion pour les quelques centaines de soi-disant journalistes littéraires de se faire des sous. La revente de livres envoyés par les éditeurs, petits ou gros, par les journalistes dits littéraires correspond à une période d’embellie pour eBay et Amazon. La rentrée littéraire est aussi l’opportunité pour les éditeurs de placer leurs purs-sangs ou leurs poulains pour les nombreux Prix littéraires qui émailleront les quatre derniers mois de l’année calendaire. Ces Prix littéraires feront vivre l’industrie des fabricants de bandeaux qui font le tour des couvertures des livres. Impossible de vendre un livre sans son joli bandeau, qui rassure l’acheteur sur la valeur de l’écrit qu’il se propose d’acquérir pour une somme variant entre douze et vingt euros.

Les Prix sont au nombre de trois cent dix-sept ; les plus célèbres sont : Prix Goncourt, Prix Renaudot, Prix Femina, Prix de l’Académie Française, Prix des lecteurs de Elle, Prix des éleveurs de porcins d’Ille-et-Vilaine, Prix du polar SNCF, Prix des bouilleurs de crues, Prix Monsieur Bricolage, Prix du premier roman, Prix de la première tonne passée au pilon… Les bandeaux sont nombreux également : rouge, bleu, mauve, incarnat, jaune, rose… Et les auteurs sont nombreux aussi : auteurs à plus de cent mille, auteurs entre dix et cinquante mille, auteurs entre trois et dix mille, auteurs entre mille et trois mille, auteurs sous les mille exemplaires vendus, puis les très nombreux qui vendront moins de quatre cents exemplaires.

La rentrée littéraire, magnifique exemple de corruption institutionnalisée visant à accélérer la disparition de la forêt amazonienne de façon tout à fait légale, est un écosystème vivant qui se repaît de mots morts, de mots déjà dits et re-sucés des dizaines de milliers de fois mais qui permettent à la monnaie d’échange social qu’est le livre de continuer à circuler, et ce en dépit de la crise, des jeux vidéo, de la disparition des librairies, et de l’invasion des productions étrangères.

 

III) Sexe

nom commun ; exemples : le sexe est bon pour la santé.

La France est un pays où le sexe est obligatoire… mais sous certaines conditions. Examinons-les rapidement. Le missionnaire, la fellation, le cunnilingus, la sodomie, et plein d’autres choses sont obligatoires. L’homosexualité et l’hétérosexualité doivent être vues sur un même pied d’égalité. Et pour les hétérosexuels, un peu d’homosexualité ne ferait pas de mal. La multiplication des partenaires avant le mariage est également nécessaire. En revanche, quand on est moche ou timide, et que l’on a recours à la prostitution, c’est mal. Pas aussi mal que la zoophilie, la gérontophilie ou la pédophilie naturellement.

Le sexe devient un problème hors de France. Les promoteurs du sexe libéré refusent l’idée que des gens dans d’autres pays puissent ne pas partager leurs idées. Ainsi, lors des évènements de Cologne, d’abord occultés par les grands médias (après on s’étonnera que plus personne n’ait confiance dans les journalistes), la populace va vite en besogne en considérant tous les demandeurs d’asile comme des affamés sexuels sans scrupules prêts à se jeter sur de jeunes femmes blondes.

Mais les élites vont également vite en besogne, quand elles s’en prennent à l’écrivain algérien Kamel Daoud, sous prétexte (ce ne sont pas ses mots) qu’il ait rappelé qu’une des réalités du monde arabe, c’est la privation sexuelle.

Nous savons bien que certaines de nos élites n’ont pas ces problèmes dans leurs riads de Casablanca, mais pour la grande majorité des jeunes hommes dans les pays arabes, la privation sexuelle est leur pain quotidien, et si l’on a lu et compris Freud, sans aucun doute, un élément contributeur à leur immense frustration vis-à-vis de la société occidentale.

 

IV) Ski

nom commun ; exemples : tu reviens du ski ? Tu t’es cassé la jambe au ski ?

On pourrait croire que le ski est un sport consistant à dévaler les pentes avec des skis et des bâtons après avoir fait la queue pendant des heures pour monter dans le télésiège. On pourrait croire que le ski est une forme de vacances. Eh bien, non.

Le ski est une obligation sociale qui suit un rituel du calendrier. En février, pendant les vacances d’hiver, on part une semaine au ski. Tous les ans, le ski est l’occasion de se retrouver à l’intérieur du même groupe social afin de partager la même passion. Ne pas obéir à ce code, c’est faire bande à part, ce que le Français ne supporte pas. Dans un monde où les sociogroupes tendent à vivre de plus en plus entre eux (couples assortis, endogamie, vacances, professions, quartiers, idées politiques…), le ski est le grand unificateur qui permet de sceller et re-sceller le contrat qui lie tous les Français de la classe moyenne et au-dessus. Tous au ski, ce n’est plus le contrat social, c’est le contrat « station ».

Ce contrat est si important que l’initiation commence dès l’enfance. L’aisance sur les skis, le coup de bâton, c’est toute la grâce et l’élégance française réinventées, c’est aussi le monde coloré derrière les lunettes.

Le ski est l’un des principaux traits identitaires du Français. D’ailleurs, si on ne fait pas de ski, on n’est pas vraiment Français.

Aller au ski en Février, c’est ça l’identité nationale.

 

V) Tolérance

nom commun ; exemples : la tolérance, clé de voûte de la nouvelle société ?

Tout se passe comme si la société ne vivait plus qu’en quête d’un badge de tolérance. Tout se passe comme si l’on pouvait faire montre d’égoïsme, de veulerie, de lâcheté, de médisance, de calomnie, de cruauté, de narcissisme, de pleutrerie, de bêtise, de gloutonnerie, de débauche, d’immoralisme, de matérialisme sans limites à condition de se rallier au dogme de la tolérance.

Si la « liberté » a clairement disparu de toutes les revendications réelles, puisque même la gauche se moque maintenant de la privation des libertés et de la montée de la société de surveillance, c’est évidemment la « tolérance » qui s’est substituée à la « liberté » comme valeur suprême, la tolérance n’étant finalement qu’une réincarnation tardive de la fraternité, mais une fraternité à géométrie variable, puisque la tolérance s’exerce vis-à-vis d’autrui en fonction d’une grille bien précise, calculée sur le montant de la dette virtuelle dont on doit s’acquitter.

Ainsi, la « tolérance » implique que l’on doit passer outre certains comportements illégaux quand les auteurs sont des victimes fantasmées ou réelles d’une prétendue intolérance, mais que l’on ne doit rien laisser passer quand les auteurs sont des acteurs fantasmés ou réels d’une forme d’intolérance.

La « tolérance » est la principale grille de lecture de la société moderne. Mais plus la tolérance est discursive, plus l’intolérance monte dans notre pays, et plus ceux censés être protégés par le discours dominant (celui de la minorité bien pensante) sont en réalité les victimes de ce discours (Roms par tous, même par le Premier Ministre, enfants des banlieues par la police et à peu près tout le monde, musulmans modérés par les extrémistes protégés par cette même tolérance, femmes de plus en plus sujettes aux violences, homosexuels qui tiennent le haut du pavé médiatique mais évitent de sortir la nuit dans certains quartiers, Juifs qui ne peuvent plus enterrer leurs morts etc…).

C’est ça, le grand non-sens de la tolérance, le parfait décalage entre le discours et la réalité, qui s’observent et s’éloignent, irrémédiablement.

 

VI) Zorro

nom propre ; exemple : Zorro, Zorro, vainqueur tu l’es à chaque fois.

L’objectif du système électoral français n’est pas l’élection à la majorité ou l’expression de la volonté démocratique. L’objectif de l’élection est la recherche sacrosainte d’un Sauveur.

Le Sauveur laïc qui non seulement nous lavera de tous nos péchés séculaires mais aussi nous arrachera des griffes du mal.

Et comme nous entrons en année électorale, plutôt que de nous lamenter sur la médiocrité de nos contemporains qui continuent à prendre des vessies pour des lanternes, nous avons décidé de terminer cet ouvrage en chanson.

Le programme de chaque candidat sauveur depuis les années cinquante ressemble à peu près à ceci :

Le méchant (capitalistes, libéraux, fascistes, anarchistes etc.), la France il l’empoigna

– Et alors ?

Ben il la ficela

– Et alors ?

Sur les rails (rouillés de la SNCF) il la fit rouler

– Et alors ?

Ben le train arrivait (en retard) les copains !

– Et alors ? Et alors ?

Eh eh Zorro est arrivé

Sans s’presser

Le grand Zorro, le beau Zorro

Avec s’cheval et son grand chapeau

Avec son flingue et son grand lasso

Avec ses bottes et son vieux banjo.

 

C’est bon, encore une fois la France sera sauvée.

 

*

Published by Les Éditions de Londres

www.editionsdelondres.com

 

Quelques mots de Michel Host :

 

« Quand il se regardait dans une glace, il était toujours tenté de l’essuyer », Jules Renard, Journal, 1892

 

Ayant présenté le Dictionnaire de Cincinnatus (ou de la Controverse), et touchant aujourd’hui au terme de l’ouvrage, nous tenons, avec tous les lecteurs intéressés par le dire et la pensée de nous-mêmes et des choses de notre monde, non un guide (il en existe suffisamment qui nous indiquent où aller et que faire) mais un aide-mémoire doublé d’un avertisseur utile, qui nous rappellera ces chausse-trappes où nous nous sommes pris les chevilles et où elles se prendront encore, ces vieux tapis sous lesquels nous glissons volontiers les poussières de nos vies, nos moutons floconneux, nos vieilles habitudes auxquelles nous nous accrochons sans méditer leur nocivité, ces éléments de langage déversés chaque matin dans nos oreilles par les médias, façons de dire supposées nous apporter la nouveauté, la rapidité, souvent résidus d’un anglais défiguré dans ce qu’ils ont de très schématique et menteur. Nos propres litotes, nos ruses de langage destinées elles aussi à masquer la vérité des choses : « I.V.G. », par exemple, qui n’est pas interruption (rupture de continuité) mais irréversible destruction, et tabou tel qu’il semble avoir brûlé les pages où il ne peut figurer ; « Socialisme », autre exemple, qui n’est plus que faux-semblant et trahison… « S.D.F. », peut-être aussi, que l’on aimerait déménageant d’un domicile à l’autre, tranquille comme Baptiste, mais qui n’est que misère laissée aux bons soins de la misère. On y trouvera des personnages qui, tels D.S.K., nous ont amusés, scandalisés, édifiés et ridiculisés. La légèreté de nos émois fait que, quoique si proches, ils s’effacent et s’oublient. Le rappel des faits et méfaits mesure leur dimension si exiguë, l’humour leur rend le mouvement ; l’ironie, réputée plus méchante, leur redonne leurs vraies couleurs, du gris au noir.

Ce dictionnaire cible nos ridicules, nos insuffisances, notre autosatisfaction, nos saines et malsaines colères. Il ne parle pas de morale, il la suppose éventuellement existante, soubassement ou repoussoir. Ce livre n’est pas un pesant grimoire (en tant que numérique il ne saurait l’être), il est factuel, descriptif : c’est un miroir où l’on gagnera à se regarder. Jules Renard, cité plus haut, le savait bien. On le lit pour l’esthétique et pour l’hygiène personnelle, où entrent le rire et la réflexion.

 

Fin du document  Dictionnaire de la Controverse  / vol. 4

 

Michel Host

 


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A propos du rédacteur

Michel Host

 

(photo Martine Simon)


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Rédacteur. Président d'honneur du magazine.


Michel Host, agrégé d’espagnol, professeur heureux dans une autre vie, poète, nouvelliste, romancier et traducteur à ses heures.

Enfance difficile, voire complexe, mais n’en a fait ni tout un plat littéraire, ni n’a encore assassiné personne.

Aime les dames, la vitesse, le rugby, les araignées, les chats. A fondé l’Ordre du Mistigri, présidé la revue La Sœur de l’Ange.

Derniers ouvrages parus :

La Ville aux hommes, Poèmes, Éd. Encres vives, 2015

Les Jardins d’Atalante, Poème, Éd. Rhubarbe, 2014

Figuration de l’Amante, Poème, Éd. de l’Atlantique, 2010

L’êtrécrivain (préface, Jean Claude Bologne), Méditations et vagabondages sur la condition de l’écrivain, Éd. Rhubarbe, 2020

L’Arbre et le Béton (avec Margo Ohayon), Dialogue, éd. Rhubarbe, 2016

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Mémoires du Serpent (roman), Éd. Hermann, 2010

Une vraie jeune fille (nouvelles), Éd. Weyrich, 2015

Carnets d’un fou. La Styx Croisières Cie, Chroniques mensuelles (années 2000-2020)

Publication numérique, Les Editions de Londres & La Cause Littéraire

 

Traductions :

Luis de Góngora, La Femme chez Góngora, petite anthologie bilingue, Éd. Alcyone, 2018

Aristophane, Lysistrata ou la grève du sexe (2e éd. 2010),

Aristophane, Ploutos (éd. Les Mille & Une nuits)

Trente poèmes d’amour de la tradition mozarabe andalouse (XIIe & XIIIe siècles), 1ère traduction en français, à L’Escampette (2010)

Jorge Manrique, Stances pour le mort de son père (bilingue) Éd. De l’Atlantique (2011)

Federico García Lorca, Romances gitanes (Romancero gitano), Éd. Alcyone, bilingue, 2e éd. 2016

Luis de Góngora, Les 167 Sonnets authentifiés, bilingue, Éd. B. Dumerchez, 2002

Luis de Góngora, La Fable de Polyphème et Galatée, Éditions de l’Escampette, 2005