Dévore l’attente, Laurent Bouisset
Dévore l’attente, Éd. Le Citron Gare, novembre 2015 (avec des images d’Anabel Serna Montoya), 85 pages, 10 €
Ecrivain(s): Laurent Bouisset
Avec Dévore l’attente, le ton est donné, l’auteur a les crocs, il a faim, il en veut. Il exulte, ressent et aspire le monde par tous les pores, autant qu’il en recrache venin et sueur. Il en veut le poète et il en veut aussi à ceux qui commettent l’indifférence.
Comment ils font pour faire ?
Comment ils actionnent, eux ?
Et ils actionnent quoi ? Du chiffre
Encore ? Et du numéralisable ?
Alors il balance, il crache, il tempête, il fait claquer les mots, la rage, va se perdre pour mieux se retrouver, entre banlieue lyonnaise, Guyane et Guatemala, entre Mostar, Mexique et Marseille. Il foncevers le suicide de son je-cage.
Dévore l’attente, c’est de l’impatience brute, des poèmes en désordre chronologique rassemblant une bonne dizaine d’années de vie, soulignés par de belles photos en noir et blanc et des peintures d’Anabel Serna Montoya, une énergie difficile à contenir, même les mots n’y suffisent pas, M’emmerde les mots ! Je jette la feuille ! Explose mon Bic !, le cri peut-être mais alors quelle solitude car crier c’est tout seul…
L’énergie du poète là elle est physique, adolescente au meilleur sens du terme, elle a les yeux trop ouverts pour ne pas voir, elle grimpe aussi haut qu’elle dégringole aussi vite, le spleen et l’idéal, toute en pulsions, répulsions, impulsions, alors elle cherche un exutoire, écrire comme crier, ou partir dribbler, ou partir tout court, loin, très loin et là l’énergie elle trouve des combats à mener. Car partout et surtout loin, il y a la beauté mais aussi l’injustice, la misère, la violence… et un monumental sentiment d’impuissance. Ce choc que tout voyageur ne peut éviter, le vrai voyageur, à nu.
On voudrait le foutre à poil le monde et puis on réalise à quel point il est déjà nu et si maigre par endroits, on lui voit les os et le cœur aussi, qui bat boum boum jusqu’à exploser et on ne peut l’oublier cette explosion-là, bien loin des tympans du Paris chic qui au passage en prend plein la gueule dans un long poème nommé La explosión del fruto gigantesco.
Dévore l’attente ne fait pas dans la dentelle, c’est un peu, oui, l’explosion d’un fruit gigantesque presque trop mûr et ça gicle de partout, férocement, mais la vie dans laquelle on a beau mordre persiste à demeurer intacte, alors
Accroupis face à l’œuf intact
À l’âge mûr
Nous rêvons sidérés l’éclat
D’un hiver lent.
Mais nulle résignation cependant chez Laurent Bouisset, il ne lâche rien, les crocs bien plantés dans la chair du vivre, Il ne partage pas ce défaut d’enthousiasme, dit-il dans un poème nommé Coltrane et on y croit volontiers.
Ah si le monde pouvait n’être qu’un grand festin sans barbelés
Cathy Garcia
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