Deux remords de Claude Monet, Michel Bernard
Deux remords de Claude Monet, août 2016, 224 pages, 20 €
Ecrivain(s): Michel Bernard Edition: La Table Ronde
« Les yeux des amateurs s’étaient rafraîchis à ce vert où baignaient les regards. Son flot débordait le cadre et persistait sur la rétine. Les gens en parlaient encore sur le trottoir et jusque chez eux. Ils appelaient l’œuvre non par sa désignation dans le catalogue officiel, mais par ce qui, en elle, les avait émerveillés, l’accessoire et sa couleur, la robe verte ».
Deux remords de Claude Monet est un roman de l’amitié, Frédéric Bazille, Renoir, Clémenceau. Un roman de l’amour, Camille – son intuition du monde, Monet, sur bien des points, la devait à Camille –, un roman des fleurs et des arbres, des saisons et de la couleur, de la forme, du mouvement, de la joie de peintre sur le motif, Camille et les fleurs. Au cœur de ce roman léger et vif, les deux guerres, celle qui verra mourir l’ami, le peintre Bazille sous les feux des Prussiens, et celle qui était revenue battre de son sanglant ressac le sud de la Picardie, lécher les bords de l’Oise à Compiègne et les forêts du Valois au-dessus de la vallée de l’Automne.
Entre ces deux guerres, il y aura eu des toiles, tant et tant de toiles, l’Angleterre, et une certitude – la même que celle de Picasso – nous faisons de grandes et belles toiles, notre art unique saute aux yeux, le temps joue pour nous, et il jouera pour Monet comme pour Picasso. Entre temps, les huissiers joueront les fâcheux dans la vie du peintre, avant que le temps ne lui donne raison contre ses créanciers. Il y aura la douleur, la mort qui s’invitera, ne cessera de roder et de frapper, puis un autre soleil, d’autres couleurs, d’autres volumes, d’autres formes sur la toile. La peinture sauve, les couleurs sauvent, les nymphéas aussi, et la passion délivre du mal et de la folie, même lorsque la vieillesse fait trembler la main et douter de la précision de son regard.
« Quand, dans la lumière du matin, son regard avait trouvé le paysage qui lui plaisait, la rivière bleue aux vibrants reflets blancs, les arbres émeraude aux ombres violettes, l’ocre de la maison du garde-barrière, il s’asseyait, mâchait un brin d’herbe en imaginant ce qui, aux limites de la toile, serait le bord des choses, puis commençait à peindre ».
Deux remords de Claude Monet est un roman français, un roman de l’aventure de la peinture française – à chaque siècle la sienne –, un roman de la guerre, des guerres qui ont ravagé les corps et les âmes, la Commune et la Grande Guerre. Roman d’une révolution qui a frappé l’Académie, et les assis du Salon de Paris, son nom : l’Impressionnisme. Révolution multiple, à chaque peintre la sienne, pourrions-nous préciser. Ils sont là, plus vivants que jamais : Monet, le mystérieux Cézanne, Renoir, Pissarro, l’ami Sisley, Bazille. Ils se croisent sous l’œil attentif du maître des Femmes au jardin. Le peintre ne cesse de penser à Bazille, ce camarade à l’œil clair et à la main sûre, un artiste. En exil, Monet a échappé à la guerre, puis il a retrouvé Paris et ses jardins d’hiver, ses saisons, ce printemps dont il se réjouit. Les jardins, autre passion du peintre, il va les penser comme un tableau, par touches et couleurs, aplats et volumes, pour donner à chaque fois une grande et belle place à la lumière, comme dans ses tableaux. La lumière vient des modèles, des courbes, des tissus, et du regard du peintre naturellement, que l’on pense à cet autoportrait de 1917. Ce que rend brillamment ce roman.
« Le tableau était admirable, un chef-d’œuvre de l’art français, les robes, les roses, la grâce des jeunes femmes, expression parfaite d’une relation au monde lentement élaborée, merveilleusement épanouie ».
Deux remords de Claude Monet est enfin l’histoire de ce tableau qui est aujourd’hui au Musée d’Orsay,Femmes au jardin, 1866, Camille inonde la toile de sa lumière douce et profonde. L’histoire aussi de deux autres toiles, Camille sur son lit de mort, mais aussi Camille, ou La Femme à la robe verte, et enfin Le Déjeuner sur l’herbe. Ces toiles immortelles habitent le roman, elles le traversent et donnent au style de Michel Bernard cet apaisement, cette clarté lumineuse du style, cette manière qui fait trembler la matière romanesque, comme une fleur de nénuphar sous un vent léger. Monet vivant, d’évidence ! L’auteur s’est avec élégance admirative glissé dans sa vie, entre les couleurs, les fleurs, les exils, les saisons, les amours et les drames, et c’est une belle, très belle réussite.
Philippe Chauché
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