Deux petites filles, Cristina Fallarás
Deux petites filles (Las niñas perdidas, 2011), traduit de l’espagnol par René Solis, 216 pages, 17 €
Ecrivain(s): Cristina Fallarás Edition: Métailié
Deux petites filles de moins de cinq ans ont été enlevées dans Barcelone. Inutile de les chercher car l’on sait déjà que l’on ne peut plus rien pour elles : l’une retrouvée morte, l’autre dont une vidéo témoigne du peu d’espoir qu’elle soit encore en vie. Les circonstances ont été telles que c’est sans doute beaucoup mieux pour elles. La journaliste et détective privée Víctoria González, elle-même enceinte jusqu’au cou, a été payée pour enquêter sur ce crime monstrueux qui révulse les plus endurcis des enquêteurs.
La Fallarás (comme elle se désigne elle-même sur twitter) nous entraîne dans la part la plus sombre et obscure de Barcelone, plus noire que le noir, à la rencontre de ceux qui survivent malgré le mal, ou peut-être par le mal. Un univers où personne n’est blanc, absolument personne. Où ne semblent survivre que celles et ceux qui ont plongé au plus profond, au risque de s’y noyer et de n’en jamais revenir. Dans ce monde-là, les idéaux n’ont guère de place car la réalité les a déchiquetés et éparpillés en mille morceaux, il y a bien longtemps. Qu’il s’agisse d’idéaux d’amour, de famille, de justice… aucun n’a résisté.
Folie, toxicomanies, obsessions morbides, violences inavouables et radicales, perversions, qui sont des troubles et des pathologies ailleurs, ne sont ici que stratégies de survie, plus ou moins égoïstes, plus ou moins perverses. Le besoin de survivre, même sans le désir ou l’espoir de s’en sortir, a remisé la morale au rang des accessoires pas vraiment utiles, même s’il reste encore une vague échelle des valeurs dans l’atroce et l’horreur, surtout dans l’effroi et le dégoût que peuvent suggérer certaines figures de ce monde « souterrain », tel Le Croate et ses hommes de main.
Pas de blancs héros juchés sur le destrier des bonnes mœurs, de la dignité ou de la justice, dans cette Barcelone-là. Et n’allez pas croire qu’elle ne touche que les marginaux, les paumés, les déclassés, pauvres, truands, toxicos et dealers, putes et proxénètes, trafiquants de tout produits (y compris la chair humaine), on peut aussi croiser autour de ce monde des gens « très comme il faut », médecins ayant pignon sur rue, mais tout aussi pourris de l’intérieur que celles et ceux qu’ils méprisent, si ce n’est pas plus.
Un monde et une écriture où l’espoir semble perdu, où les lumières sont rares, plus que rares, mais où la vie continue, malgré tout, parvenant parfois à introduire un peu plus de justice, même si cela se joue sur le registre de la vengeance et se paye pour certains au prix fort. Plus que l’espoir et ses illusions, c’est la volonté de vivre sans se soumettre au plus fort ou au pire qui éclaire la noirceur de ce roman qui vient tabasser nos bonnes consciences sans ménagement.
Chapeau bas !
Un roman écrit depuis « la partie effondrée de l’Espagne », comme le titrait un article de l’auteure publié dans Libération en juillet 2013. Un effondrement dont elle témoigne également dans le récit de sa propre expulsion de son domicile, A la puta calle – crónica de un desahucio (ed. Bronce). Cristina Fallarás contribue également au blog « ellas » du journal El Mundo.
Signalons aussi que Las niñas perdidas a été récompensé par un des prix les plus prestigieux du genre, le Prix Dashiell Hammett en 2012 (décerné à l’occasion de la Semana Negra de Gijón).
Marc Ossorguine
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