Deux chambres avec séjour, Ibrahim Aslân
Deux chambres avec séjour, traduit de l’arabe (Egypte) Stéphanie Dujols, février 2013, 124 pages, 16,80 €
Ecrivain(s): Ibrahim Aslân Edition: Actes Sud
Petit livre aux dimensions du modeste appartement, dont il est question, ici. Petit, mais à la densité extrême de ce qui s’y passe : la vie…
L’histoire tient dans une paire de babouches – usées, familières, posées sur la palier.
Khalil est vieux, usé lui aussi, mais fier de tenir encore debout. Ihsan, est le versant féminin de l’attelage qu’on imagine avec tendresse rouler depuis un bon bout de temps. Ils ne sortent plus beaucoup, ressassent des miettes de souvenirs, se chamaillent pour des riens, conjuguent au passé. Un – doux et tendre – « au théâtre ce soir », sis au cœur du vieux Caire.
Ishan vient à mourir. Portes et fenêtres s’ouvrent sur la rue, les anciens copains, les voisins qu’on connaissait au fond bien peu… Le temps continue sa course au rythme de la pendule des « vieux » chers à Brel…
C’est là un livre qu’on ouvre avec douceur, respect aussi – beaucoup ! – qu’on va lire le soir, quand tombe l’excitation du jour. Livre tendre, aux couleurs diaprées de sa couverture mauve, adaptée à ces derniers versants de vie.
Il a « des cheveux blancs en bataille… une robe de chambre, un traitement à prendre, regarde les films étrangers à la télévision… la hagga (la femme) est allée dans la chambre et s’est assise sur le lit pour écouter le Coran sur son magnétophone ».
Banalité de tous les jours, qu’on transpose – facile – chez nos grands-parents, dans une barre de HLM, ici ou là, en France. Un jeu, d’interchanger tous ces indices – précieux et justes – ciselés comme accessoires de cinéma, jalonnant la vie quotidienne, là-bas en Egypte, et chez nous. Au plus près de nous. Proximité qui vaut universalité. La vraie richesse du livre est là !
« Il se disait que maintenant que sa femme n’était plus là, il pouvait bien débarrasser les bouteilles de leurs capsules ou les fourrer n’importe où. Seulement, il était gêné de le faire sans attendre, au moins, les – quarante jours – »…
Deuil à petits pas, de gens de peu : nous, nos voisins, nos vieux cousins. Là-bas, ici, ailleurs. Le monde entier tient dans ces pages ; superbe réussite littéraire ! Chemin simple et lent que tout un chacun doit faire, surtout en fin de vie à deux. Tellement touchant, l’accompagnement que fait Ibrahim Aslân, de son personnage, qu’il connaît tellement bien qu’on se demande si…
« Il s’est mis à promener son regard en se souvenant : le jour de cette photo, je me tenais à cet endroit, et, elle, elle était là … laissant les photos éparpillées sur la banquette, il est allé s’asseoir devant la télévision ; l’a allumée, et a réglé le son avec la télécommande pour qu’on l’entende à peine… puis il s’est levé pour marcher jusqu’à la cuisine et boire un peu d’eau… ».
Fin de vie douce ; tristesse un peu sucrée des ruelles égyptiennes ! dans l’appartement, le quartier, peint à petites touches impressionnistes. Parfum d’épices et de thé à la menthe ; timbale chaude de fèves, galettes, botte d’oignons verts. Pour la musique, on n’hésite pas : violoncelle, et piano de la « Stanchen » de Schubert ; pas trop fort…
Martine L Petauton
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