Deuil, Gudbergur Bergsson
Deuil. Traduit de l’islandais par Eric Boury février 2013. 126 p. 15 €
Ecrivain(s): Gudbergur Bergsson Edition: Métailié
Etrangement, ce livre est beaucoup moins sombre qu’on ne l’attend. Pourtant tout y est, du titre au sujet et à la narration même. Un vieil homme, veuf, mal en point et assez dépressif qui n’a plus d’autre attente que la pathologie éventuelle et la mort inéluctable. Pas d’autres distractions que les souvenirs de sa femme aimée et perdue, de quelques scènes de sa vie, de ses enfants, affectivement lointains désormais. Pas d’autres distractions que le chuchotis d’une bouilloire, quelques bruits venus du dehors. Tout le cadre d’un roman noir, voire lugubre. Et pourtant, Bergsson écrit un récit qui ne l’est jamais.
Quelque chose d’un regard qui reste amusé sur le désastre qu’est en fin de compte, imparablement, une vie. Même le (les) malheur peut être vu avec un sourire, amer certes mais un sourire. Cela porte un nom : l’humour, une certaine épaisseur de distance au propos, que Bergsson manie avec talent. Même le souvenir douloureux de la femme d’une vie garde une trace d’amusement :
« Il s’étonnait de constater que, plus elle avançait en âge, moins elle prenait la peine de dissimuler sa nudité alors qu’elle se coiffait, toujours en sous-vêtements. Pour quel prétendant se faisait-elle donc belle : l’ange de la mort ? Venait-il, comme le fait un amant régulier, de lui téléphoner pour lui dire : « Tiens-toi prête, j’arrive dans dix minutes » ? »
Et cette bouilloire pour le thé matinal, qui n’atteint jamais le point d’ébullition et qui, tout au long du récit, va servir de scansion métaphorique à l’interminable attente du vieil homme, l’interminable attente de … rien. Bergsson nous emmène au cœur de la vieillesse, comme au cœur d’une malédiction douce et inévitable, douce parce qu’inévitable.
« Ce qui l’envahissait ainsi n’était pas la dépression, mais cette malédiction afférente à la vieillesse ; ce n’était ni la nostalgie ni les regrets, mais simplement la mélancolie sous sa forme la plus pure. »
Nous avons dans ce dernier extrait le secret de ce récit, de ce pourquoi il n’est pas triste malgré la noirceur du thème : la pureté de la mélancolie de la vieillesse. Tellement pure en fin de compte, qu’elle échappe à toute description, à toute analyse, à toute tentative de compréhension. L’histoire de ce vieil homme et de sa bouilloire est aussi incompréhensible que la vie d’un homme, aussi absurde.
« La bouilloire serait-elle cassée ? Cette eau ne va-t-elle donc jamais bouillir ? »
C’est étrangement le propos implacable de Gudbergur Bergsson sur la condition des individus qui fait que ce livre échappe à la noirceur. Un peu à la façon du discours baroque du XVIIIème siècle qui faisait des chansons légères sur le thème de « È bisogna morire »*, ce qui était une façon de faire face à cette échéance pour qu’elle ne soit pas effroyable.
« Il n’existe rien de plus injuste que cette brutalité, cette violence qu’est le vieillissement. »
Bergsson exorcise ce destin commun en un récit finalement doux, empreint d’une certaine légèreté, et d’une élégance constante.
Leon-Marc Levy
VL2
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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