Desports 4 Spécial Coupe du Monde
Desports 4 Spécial Coupe du Monde, Olivier Guez, Bernard Chambaz, Adrien Bosc, Pierre-Louis Basse, Benoît Heimermann, Bernard Comment, et beaucoup d’autres, Ed. du Sous-sol, mai 2014, 196 pages, 17 €
Edition: Editions du Sous-Sol
« A 16h34, à la 79e minute de la rencontre, Alcides Ghiggia, l’ailier uruguayen, déboule, excentré. Il a éliminé Bigote, son vis-à-vis, et s’en va chercher la tête ou le pied de Schiaffino. Comme sur le premier but de la Celeste, Barbosa l’anticipe, légèrement avancé, oui, Barbosa anticipe le centre, il ne ferme pas bien l’angle de son but, Ghiggia l’a vu, tire, Barbosa se détend mais trop tard, la balle lui échappe, l’Uruguay marque. La Celeste même au score et le Brésil ne la rattrapera jamais, il va perdre « la Finale » ! (Le gardien maudit, Olivier Guez).
Comme la littérature, le football est affaire de détente et d’anticipation. Il faut bien fermer l’angle de son but pour éviter que la phrase lancée à vive allure ne finisse dans le filet. Comme la littérature, le football est affaire de stratégie, on occupe le terrain ou on semble se découvrir, mais c’est une ruse chinoise, les attaquants sont en place, mais un milieu jaillit comme un haïku, pied droit, pied gauche, déhanchement, retour sur le droit et exclamation finale, la clameur se poursuit longtemps en suspension comme chez Céline.
« Entre ciel et terre, sur l’herbe rouge ou bleue, une tonne de muscles voltige en plein oubli de soi, avec toute la présence que cela requiert en toute invraisemblance. Quelle joie, René, quelle joie ! » (Nicolas de Staël à René Char).
Comme le football, la peinture est affaire de détente et d’inspiration. Le mouvement inspire le mouvement, à condition d’entendre et de voir ce qui se joue sur la pelouse et sur la toile. Nicolas de Staël voit le hasard et celui-ci le lui rend bien. Ses Footballeurs en témoignent, c’est un Prince foudroyé chez les Princes du Parc.
« Le 21 novembre 1973, dix mille spectateurs assistent à cette partie sans adversaire, le match, propagande de la dictature militaire, se veut une célébration de la victoire et la qualification. Autour du terrain, les soldats surveillent les joueurs et le public, la mascarade officielle ne doit souffrir d’aucune sorte de contestation. Et ainsi, onze joueurs se retrouvent à arpenter seuls le terrain jusqu’à ce que Francisco Chamaco Valdès, buteur du club Colo-Colo, aille marquer l’unique but de la rencontre » (Le jour où Pinochet a assassiné le football, Adrien Bosc).
Football et littérature, imaginons Père Ubu à l’Estadio Nacional de Santiago du Chili, Merdre, le foot : 1973, l’URSS offre au Chili une qualification pour le Mondial sur tapis vert, l’équipe adverse ne s’est pas déplacée, deux mois plus tôt un militaire amateur de Ray Ban renversait le gouvernement d’Allende. Point d’esquive, de dribble, de débordement, de petit ou de grand pont, mais un mauvais roman national. On joue pour de faux comme disent les enfants, mais on torture et on meurt pour de vrai dans les tribunes et les vestiaires. Ji tou tue au moyen du croc à merdre et du couteau à figure.
« A Kyoto, il est un sanctuaire – le Shimogamo Shrine – où l’on croise d’antiques officiants affublés de robes à parements multicolores. Chaque mois de janvier, une poignée d’entre eux s’adonnent à des parties de kemari hajime avec une balle en peau de daim de vingt-quatre centimètres de diamètre qu’ils sont tenus de se renvoyer de leur seul pied droit sans que jamais celle-ci ne touche terre. Le terrain ne dépasse pas quelques mètres carrés, mais chacune de ses quatre extrémités est marquée par un arbre distinct : pin, saule, cerisier, érable. Une archiviste aurait trouvé trace d’une partie de cet ancêtre du football au XIIe siècle et noté qu’une balle avait été anoblie à la même époque pour avoir rebondi cent fois sans discontinuer » (La force du prophète, Benoît Heimermann).
Comme en littérature, en football rien n’est jamais gagné, un but peut en cacher un autre, une phrase tout renverser, un mauvais geste comme une faute de style se payer comptant. Il ne suffit pas de croire que ce que l’on vient d’écrire est un pur bijou, ou que la brillante attaque décisive que l’on a menée marquera son temps, il ne suffit pas de le croire, mais cela porte chance.
Philippe Chauché
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