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Des voix parmi les ombres, Karel Schoeman

Ecrit par Victoire NGuyen 28.08.14 dans La Une Livres, Afrique, La rentrée littéraire, Les Livres, Critiques, Roman, Phébus

Des voix parmi les ombres, traduit de l’afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein, aout 2014, 311 p. 22 €

Ecrivain(s): Karel Schoeman Edition: Phébus

Des voix parmi les ombres, Karel Schoeman

 

Réminiscence

Nous sommes à l’époque actuelle, quelque part en Afrique du Sud au moment où débute le roman. Sous un soleil de plomb, un photographe et un écrivain-explorateur arpentent le pays en voiture à la recherche d’une ville perdue du nom de Fouriesfontein. Le but de nos deux personnages est de réaliser des photographies pour la constitution d’un livre portant sur les événements de 1901 où les Boers ont occupé la ville et ont massacré un métis du nom d’Adam Balie.

Ce que le lecteur sait, c’est qu’il s’agit d’une ville florissante à la fin du 19° siècle. Elle a été peuplée de colons anglais et hollandais. Fouriesfontein était une ville rattachée au Cap et son nom provient d’une puissante famille, les Fourie :

« En 1883, lorsque l’on décida de fonder une paroisse et de construire un temple, Herklaas Fourie avait suffisamment d’influence pour obtenir que cela se fasse sur ses terres, et il était suffisamment fortuné pour prendre à sa charge l’érection du modeste bâtiment au toit de chaume. Il eut été difficile, dans ces conditions, de donner un autre nom que le sien au village que l’on aménagea tout autour du temple, aussi l’appela-t-on Fouriesfontein, la Source-de-Fourie (…) ».

Cependant, nos compagnons se heurtent à un problème de taille : ils ne trouvent pas Fouriesfontein sur leur itinéraire. Ils tournent alors en rond en proie à l’agacement et à la frustration :

« Il sort la carte de sa serviette. Elle est formelle : de Kromburg à Fouriesfontein, 63 kilomètres, et de Fouriesfontein à Donkerpoort, 54, qui se suivent en ligne droite le long d’un ruban rouge d’où, rarement, bifurque un chemin privé conduisant à une ferme, or cela fait déjà plus d’une demi-heure qu’ils ont dépassé Kromburg. Il sent monter en lui une légère impatience devant la perspective d’un retard qui risquerait de bouleverser un peu plus ses plans pour l’après-midi (…) ».

Et c’est alors que l’écrivain-explorateur a une vision. Le réel s’évanouit laissant surgir à la place du veld aride la silhouette de la cité du passé : « (…) il a du mal, un peu comme un homme qui vient d’échapper à la noyade, le poids de ses vêtements trempés le gêne, il titube dans la poussière et se dirige vers la voiture mais la voiture n’est plus là ; il se retourne et aperçoit devant lui la ligne sombre des arbres qui indique la petite ville avec sa petite église et son clocher ».

L’écrivain-explorateur a accompli sa mission. Il vient d’entrevoir la ville de Fouriesfontein. Il est celui qui a réussi à pousser la porte de l’autre monde. Dès lors, les fantômes troublés dans leur repos se dressent et murmurent aux vents qui portent au loin leur histoire sur Fouriesfontein et sur cette guerre tragique entre Boers et armée anglaise. Karl Schoeman choisit de mettre en exergue trois témoins oculaires qui ont vécu l’occupation des Boers et la récupération de la ville par l’armée anglaise. Le récit se structure en trois fragments narratifs. Il y a d’abord la voix d’Alice, la fille du magistrat écossais Macalister. Puis survient celle du jeune clerc Kallie et enfin le monologue de la lucide Mademoiselle Godby. Chaque version complète les deux autres et permet au lecteur d’avoir une vision globale de l’invasion et des conséquences que cette guerre a répercuté sur la relation entre les habitants. Le chevauchement des récits de témoins porte à la lumière le destin tragique des métis et surtout celui d’un des leurs : Adam Balie. Le lecteur se rend compte de l’atrocité de son meurtre et des haines inter-ethniques.

L’écriture Des voix parmi les ombres est condensée. Le vocabulaire est subtilement choisi. Le style est fondé sur l’éllipse. Le lecteur doit extraire le non-dit, le sous-entendu dans le témoignage des personnages. L’art narratif de l’auteur repose sur l’adaption du style à la personnalité de chaque intervenant. Il est tantôt répétitif et élliptique lorsqu’il s’agit d’Alice qui refuse de se souvenir. Il devient plus froid et plus intimiste lorsqu’il s’agit de Kallie. Pour Mademoiselle Godby, il devient poétique, lourd de culpabilité et de remords. Ce troisième témoignage éclaire tous les autres par sa lucidité et son analyse de l’événement des années après. Mademoiselle Godby n’épargne rien et jette un regard sans complaisance sur sa communauté.

Comme l’annonce la quatrième de couverture, Des voix parmi les ombres est un « roman à ajouter à la liste des chefs-d’œuvres d’un écrivain considéré comme l’égal de JM Coetzee ou de Nadine Gordimer ».

 

Victoire Nguyen

 


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A propos de l'écrivain

Karel Schoeman

 

Karel Schoeman est né en 1939 à Trompsburg, dans l’Etat libre d’Orange. Son œuvre compte aussi bien des ouvrages sur l’histoire de son pays que des romans. Parmi ses récits de fiction, le public retient les chef-d’œuvres suivants : La saison des adieux, le Retour au pays bien-aimé, En étrange pays et Cette vie. Tous ces romans sont publiés chez Phébus. Engagé dans la cause des Noirs de son pays, Karel Schoeman a reçu de la main de Nelson Mandela la plus haute distinction sud-africaine, le Order of Merit. Ce présent roman, Des voix parmi les ombres, est son dernier opus.

 

A propos du rédacteur

Victoire NGuyen

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Un peu de moi…

Je suis née au Viêtnam en 1972 (le 08 Mars). Je suis arrivée en France en 1982.

Ma formation

J’ai obtenu un Doctorat es Lettres et Sciences Humaines en 2004. J’ai participé à des séminaires, colloques et conférences. J’ai déjà produit des articles et ai été de 1998 – 2002 responsable de recherche  en littérature vietnamienne dans mon université.

Mon parcours professionnel

Depuis 2001 : Je suis formatrice consultante en communication dans le secteur privé. Je suis aussi enseignante à l’IUT de Limoges. J’enseigne aussi à l’étranger.

J'ai une passion pour la littérature asiatique, celle de mon pays mais particulièrement celle du Japon d’avant guerre. Je suis très admirative du travail de Kawabata. J’ai eu l’occasion de le lire dans la traduction vietnamienne. Aujourd’hui je suis assez familière avec ses œuvres. J’ai déjà publié des chroniques sur une de ses œuvres Le maître ou le tournoi de go. J’ai aussi écrit une critique à l’endroit de sa correspondance (Correspondance 1945-1970) avec Mishima, auteur pour lequel j’ai aussi de la sympathie.