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Derrida, El Maâri, Baudelaire, Abou Nouas et les autres

Ecrit par Amin Zaoui le 24.06.13 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Derrida, El Maâri, Baudelaire, Abou Nouas et les autres

 

In "Souffles" (Liberté)

 

Pourquoi la modernité dans la littérature arabe a-t-elle échoué ou tardé ? Pourquoi, après presque un siècle depuis la publication du roman autobiographique Les Jours de Taha Hussein – ce roman a été publié en 1929 traduit en français et préfacé par André Gide –, le courage littéraire a-t-il régressé dans le monde littéraire arabe ? La bonne littérature a reculé ? La raison s’est éclipsée ? La critique s’est marginalisée ? On va droit, de plus en plus, dans le mur, vers l’abîme ou dans l’obscurité. Les intellectuels arabes ont raté leur rendez-vous avec la modernité, tout simplement, parce qu’ils ont coupé, d’un côté, avec leur patrimoine osé et rationnel, et de l’autre côté, faute de la traduction, avec les richesses de la pensée humaine. Les écrivains arabes, à l’image du lecteur arabe, même quand ils sont occupés par la littérature universelle se trouveront face à des écrits faussement traduits.

Pour ne citer que cet exemple : la meilleure traduction de La comédie divine de Dante vers la langue arabe est mutilée. Tout ce qui a un rapport avec la religion musulmane a été rayé. Le jeune lecteur arabe d’aujourd’hui, comme l’écrivain, n’arrive jamais à trouver le texte intégral des Mille et Une Nuits. Livre majeur de l’humanité, inégalé dans son imagination et dans son imaginaire arabe et universel. Ce livre qui doit être classé comme patrimoine universel par l’Unesco se trouve, au nom du purisme religieux, menacé par les ennemis de la liberté de l’imaginaire. Avant d’aller du côté de Garcia Marquez, il faut lire les Mille, malheureusement on ne trouve pas Les Mille dans son intégralité, dans sa langue d’origine. On se rappelle de la loi votée par le Parlement égyptien, de l’époque de Sadate, interdisant toute publication et diffusion du texte intégral des Mille et Une Nuits.

Lire un certain Baudelaire, dans le monde arabe, est une nécessité, mais lire un certain Abou Nouas est une obligation intellectuelle. Mais malheureusement le lecteur arabe n’arrivera jamais à accéder à l’œuvre complète d’Abou Nouas. Comme Les Mille et Une Nuits, Diwan Abou Nouas est mutilé. Il n’y a pas de Baudelaire sans Abou Nouas. Pour lire Nietzsche, il faut d’abord lire Aboul Alaa El-Maari (973-1057), mais malheureusement, ces jours-ci les fanatiques et les djihadistes de Bilâd Ec-Shâm ont tranché la tête de la statue de ce philosophe rationaliste et littérateur. La guerre contre la pensée rationaliste est déclarée.

Pour initier les nouvelles générations à la culture critique, il faut leur enseigner à lire, par exemple, Les Jours de Taha Hussein, l’autobiographie courageuse et sincère. Mais, malheureusement ce livre est devenu la bête noire des Frères musulmans d’Egypte. Il a été dilapidé. Ils ont censuré tous les passages critiquant El Azhar et autres. Lire Jacques Derrida, pour un intellectuel arabe, c’est formidable, mais lire Ibn Rochd est primordial. Dans toute littérature, la modernité restera menacée dès qu’elle est coupée du patrimoine de la lumière, universelle et locale.

 

Amin Zaoui

 


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A propos du rédacteur

Amin Zaoui

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Rédacteur


Amin Zaoui est un écrivain algérien né le 25 novembre 1956 à Bab el Assa (Algérie). il écrit chaque jeudi deux articles un en arabe dans le quotidien arabophone echorouk et en français dans le quotidien francophone liberté.

 

 

 

1984-1995 : enseignant à l’université d'Oran (département des langues étrangères)

1988 : Doctorat d'État en littératures maghrébines comparées

1991-1994 : directeur général du Palais des Arts et de la Culture d’Oran

2000-2002 : enseignant à l’université d’Oran (département de la traduction)

2002-2008 : directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie

2009 : membre du conseil de direction du Fonds arabe pour la culture et les arts (AFAC)

Conférencier auprès de plusieurs universités : Tunis, Jordanie, France, Grande-Bretagne.

 

Publications en français

Les romans d’Amin Zaoui ont été traduits dans une douzaine de langues : anglais, espagnol, italien, tchèque, serbe, chinois, persan, turque, arabe, suédois, grec…

 

Sommeil du mimosa suivi de Sonate des loups (roman), éditions le Serpent à plumes, Paris, 1997

Fatwa pour Schéhérazade et autres récits de la censure ordinaire (essai collectif), éditions L'Art des livres, Jean-Pierre Huguet éditeur, 1997

La Soumission (roman), édition le Serpent à Plumes, Paris, 1998 ; 2e édition Marsa, Alger. Prix Fnac Attention talent + Prix des lycéens France

La Razzia (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 1999

Histoire de lecture (essai collectif), éditions Ministère de la Culture, Paris, 1999

L’Empire de la peur (essai), éditions Jean-Pierre Huguet, 2000

Haras de femmes (roman), éditions le Serpent à Plumes, 2001

Les Gens du parfum (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

La Culture du sang (essai), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

Festin de mensonges (roman), éditions Fayard, Paris, 2007

La Chambre de la vierge impure (roman), éditions Fayard, Paris, 2009

Irruption d’une chair dormante (nouvelle), éditions El Beyt, Alger, 2009

 

En arabe

 

Le Hennissement du corps (roman), éditions Al Wathba, 1985

Introduction théorique à l’histoire de la culture et des intellectuels au Maghreb, éditions OPU, 1994

Le Frisson (roman), éditions Kounouz Adabiya, Beyrouth, 1999

L'Odeur de la femelle (roman), éditions Dar Kanaân, 2002

Se réveille la soie (roman), éditions Dar-El-Gharb, Alger, 2002

Le Retour de l'intelligentsia, éditions Naya Damas, Syrie, 2007

Le Huitième Ciel (roman), éditions Madbouli, Égypte, 2008

La Voie de Satan (roman), éditions Dar Arabiyya Lil Ouloume, Beyrouth ; éditions El Ikhtilaf, Alger, 2009

L'Intellectuel maghrébin : pouvoir - femme et l’autre, éditions Radjai, Alger, 2009