Depuis toujours le chant, Gérard Bocholier (par Didier Ayres)
Depuis toujours le chant, Gérard Bocholier, Arfuyen, mai 2019, 128 pages, 13 €
Poésie-chant
En espérant limiter l’emphase de ma lecture, je dirais quand même que le dernier livre de Gérard Bocholier se compare assez à une psalmodie, comparable donc avec le chant spirituel du Livre des psaumes de David, identifiable au moins à l’environnement mystique de la représentation de la divinité dans l’aire chrétienne. C’est à une sorte de « lyrisme des neiges » si je puis imager mon propos ainsi, à quoi je rapprocherais cet acte de foi du poème, poésie qui calque à la fois un espace invisible, immatériel, et les éléments physiques du monde terrestre, et de cette manière la beauté des glaces et leur physiologie hivernale.
Du reste, puisque j’ouvre le chapitre des éléments terrestres, je crois que l’on peut approcher ce livre avec en tête la philosophie de Gaston Bachelard en son travail sur la cosmologie d’Empédocle, qui réduit notre univers aux simples corps du feu, de l’eau, de la terre et de l’air. Ainsi, on peut penser le poème avec son inconscient, l’inconscient de soi-même et celui du texte. Il suffit d’entendre la musicalité du texte – peut-être là encore sans emphase, pourrait-on évoquer Debussy et sa Mer. Donc, se fier à sa propre voix dans l’écho ancien et tourmenté de notre personne, de son archaïsme, choses que tout le monde partage.
Pour ce qui concerne la forme proprement dite, je résumerais cela à une expression décomposable en unité de quatre vers répétée en deux strophes, arrangées en cinq parties. Ces poèmes sont sans aucune ponctuation, juste ornés d’une majuscule à chaque vers. Nous sommes donc au sein d’un univers verbal fluide, liquide, que rien n’arrête, et qui peut constituer une espèce de partition où viendrait échouer la mélodie spirituelle. Une lecture sans accrocs qui, peut-être en se privant de points ou de virgules, rejoint l’idée deleuzienne qui prône le ET contre le fragment. Ainsi, une coulée sans écueils, une traversée du langage sans l’usure de liens ou de coupures.
Il faut encore surligner l’importance du territoire, de la localisation du poète en son environnement physique, sans doute comme le faisait Éric Rohmer quand il filmait Ma Nuit chez Maud. Et cela révèle la magie des puys enneigés, du lieu du poème, localise le poète dans son identité, et son propre fantasme de poète.
Sur les braises du jour
Le vent jamais ne cesse
La flamme sur la cendre
Jamais ne s’éteindra
Que la terre s’abîme
La mer et tous les astres
Le tombeau blêmira
Du sceau du dieu vivant
Ou
Nous ne craignons rien du maître
Dont nous gardons les paroles
Son beau visage apparu
Sous les ronces nous transperce
Son regard plus qu’aucun feu
A bu toute la misère
De l’homme pris sous les trombes
Des siècles jusqu’au néant
Je considère ces poèmes comme l’expression sincère d’une nature religieuse, qui s’apparente aux conceptions pauliennes ou johanniques. Donc en regard d’un dieu comme un feu dévorant, ou d’un dieu alliant l’eau et l’esprit. Une sorte de point nodal, une espèce de ligne de fuite où conduit le poème et l’inconscient poétique du texte.
Didier Ayres
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