Démolition, Jean-Christophe Belleveaux
Démolition, illustrations d’Yves Budin, 2013, 78 pages, 11 €
Ecrivain(s): Jean-Christophe Belleveaux Edition: Carnets du dessert de lune
Démolition de Jean-Christophe Belleveaux se lit une fois puis se relit, en espérant cette fois en ressortir moins essoufflé. Démolition aurait pu aussi bien s’intituler débordements et suffocation, car il s’agit principalement ici d’évacuer un trop-plein, comme annoncé dans la première phrase du recueil, en italique, comme l’auteur se citant lui-même :
Le monde est trop plein, ma poitrine en déborde
Pas de majuscule, on y entre de plain-pied ou comme un de ces pavés dans la mare et les retours à la ligne n’ont rien de convenu, mais donnent le ton saccadé qui nous place d’emblée dans la tête de l’auteur, comme à bord d’un véhicule à embarquement immédiat. Nous voilà secoués, soubresautés, subissant des embardées avec toutefois quelques moments où le trajet semble s’apaiser mais pas pour longtemps. Le chemin n’a rien d’une autoroute, mais bien plutôt un de ces chemins de terre, pleins de trous et de bosses, qui mènent on ne sait où, l’idée même d’une destination étant hors de propos.
faire bonne figure, s’accommoder
d’infinitifs qui ont le style
d’une serpillière
je suis fatigué
comme tout le monde
tout le monde trop-plein
de trop de choses
Et la plume de l’auteur contredit sa fatigue en étant ici pareille à un moteur qui s’emballe et qui chercherait à se faire taire elle-même. Des sentiments de vanité et désenchantement prennent le lecteur à la gorge et lui donnent envie à lui aussi de recracher le trop-plein, la dégueulasserie qui frôle souvent le dégoût de soi.
je ne vais pas continuer à écrire
« les vaches se tiennent debout sous la pluie »
par exemple
je ne vais pas non plus
sortir sous la pluie
ni me taire ni mourir tout de suite
Il y a au départ de l’écriture une plaie, impossible à refermer. Les mots en guise de cautérisation, autant verser de l’eau dans un trou de sable.
Je lèche ma plaie
J’écris avec ma langue
Celui qui écrit ne peut que continuer à écrire, dans une vertigineuse mise en abîme, une toile dont on finit par voir la trame à force de l’user, écrire même pour dire rien.
mais plus pur que le rien
pourquoi en voudrais-je
de cette baudruche
pureté brûle, viole,
met des fils de fer barbelés
Pour interroger le silence. Deux mots déjà, deux mots de trop. À devenir fou. Les mots sont à la fois le fond où l’auteur se noie et le radeau qui le sauve.
seulement voilà
ça s’effrite dedans, ça craque
et l’écriture jette ses oiseaux noirs
sur la page étale
(…)
je ne peux plus compter
sur le mauvais ficelage
de ce radeau
Les mots, filet balancé au néant pour y pêcher quoi ?
Donnez-moi de l’amour
à cause de mes phrases
beaucoup d’amour anonyme
non prononcé
(…)
j’aligne les mots les signes
les hameçons
Qui ne pêchent rien
j’aligne
(…)
c’est un tango absurde avec le manque
une posture à foutre en l’air
à coups de revolver
Et puis il y a tous ces voyages, ces échappées dont les images restent gravées, des mots encore et cette atroce certitude qu’ils ne réparent rien, que les mots ne résolvent rien, ne ressuscitent rien.
je me suis bagarré avec tout ça, j’ai fait du doute un habit à peu près supportable
la grande fatigue, elle, me jette au bord de l’impudeur : tout déballer, faire le tri ou alors foutre le feu tout de suite à l’entière baraque
Démolition, c’est le poète qui se débat avec sa solitude.
sommes-nous
l’ange et moi
symétrique aussi
sommes-nous
l’ange de l’autre
(…)
Puis-je étrangler
au nœud coulant de mon blabla
ma solitude
Car celui qui se construit de mots en vient à douter de sa propre consistance.
et puis ça se fissure
on ne sait pas bien
on n’a plus
qu’une vapeur d’âme
un crachin
(…)
RIEN
Se débrouille pour me dissoudre
Reste à rire de soi, que ce soi de maux soit de mots, soit ! Le pied de nez de celui qui ne saurait vivre sans eux, même s’il est tenté de les démolir, comme un taulard voudrait casser les briques des murs qui l’enserrent.
et pas de pioche encore
pour les briques du mur
mais ça viendra
ça va casser futur proche
ça s’éboulera langue et sourire
boomerang.
Et le lecteur en reprendra bien encore une fois.
A noter aussi, les superbes illustrations d’Yves Budin.
Cathy Garcia
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