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Dégaine, Manon Godet (par Parme Ceriset)

Ecrit par Parme Ceriset 27.11.24 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, Editions du Cygne

Dégaine, Manon Godet, Editions du Cygne, mai 2024, 158 pages, 16 €

Edition: Editions du Cygne

Dégaine, Manon Godet (par Parme Ceriset)

 

« Dégaine », voilà un titre qui interpelle, jaillit du langage comme une arme tranchante prête à décimer les rages pourrissantes, à chasser la nuit.

L’auteure écrit pour ne pas « finir dans un trou de mémoire », « ne pas devenir ce trou », pour construire, exorciser ce qui la hante, évincer la peur du noir. Elle sait relater avec force et pudeur la douleur des femmes blessées, en donnant vie à des personnages féminins, qui selon ses propres mots, « sont comme moi ».

Et puis il y a la résilience, rendue possible par « la métamorphose vers le “je” », les instants où l’on fait « hurler la vie », où on l’irrigue, où l’on se distancie d’un passé trop dur :

« Ça n’a pas à être réel si je ne le veux pas », dit la narratrice, offrant un écho en miroir aux mots de Boris Vian : « Cette histoire est vraie puisque que je l’ai inventée ».

Et c’est justement dans un univers mystérieux, envoûtant, rappelant parfois, par la résurgence de « nénuphars », celui de L’Écume des jours, que nous plonge la prose de Manon Godet, avec ses accents surréalistes à la frontière de l’onirisme :

« Lola parle fort. Elle grince. Son rire a un goût de rouille ».

« Des milliers de bouts de verre atteignent l’intérieur de mon crâne ».

Audacieuse, l’écriture « dégaine » des fragments de phrases volontairement hachés, répétés, qui résonnent et s’impriment dans l’esprit du lecteur, à l’instar d’un traumatisme en voie d’assimilation, juste avant la cicatrisation.

« Le vomi, le rouge sang, la rage, la plaie interne, c’est le truc de Lola.

La fougue de Lola. La maladie ».

« Le ventre de Lola. Un trou à la place du ventre ».

Au cœur d’une traversée de l’enfer, où « les enfants traumatisés sont du côté des morts », où Lola, dont « les os grincent », creuse sa peau, où Carmen est prise pour folle, où l’effroyable déchirement de l’inceste broie les êtres, où retentit la « musique de la viande », l’amour véritable, doux comme un lac, est effleuré. S’il semble condamné à s’évaporer, il est en tout cas le bras qui sauve de la chute vers l’abîme, qui retire de la gorge « les bougies ». Il est « une immense mer douce et musicale », un ange qui passe, puis tombe doucement…

« Il ne montera pas avec moi ce soir. Jamais. Il a seulement les yeux de la mer. Il est seulement beau. Parfois ça suffit ».

Dégaine est un livre puissant, bouleversant, engagé et poétique à la fois. Le cri vertigineux d’un corps tranché, morcelé, qui souffre puis guérit, renaît à la vie, à la joie, autrement :

« Nous, c’est vivre dans du miel. Aimer ailleurs ».

« Les enfants traumatisés sont du côté des morts », dit l’auteure dans les premières pages du livre. « Du côté des mots », « ils réaniment », ajoute-t-elle ensuite. Nous la croyons.

 

Parme Ceriset

 

Manon Godet est née en Normandie. Elle construit sa vie à Paris. Elle a publié le recueil de poésie Peau, aux éditions du Cygne en 2022. Dégaine est son premier roman.



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A propos du rédacteur

Parme Ceriset

 

Parme Ceriset est poète, auteure de plusieurs recueils de poésie dont « Boire la lumière à la source » et « Nuit sauvage et ardente » (éditions du Cygne), « Femme d’eau et d’étoiles » (éditions Bleu d’encre, prix Marceline Desbordes-Valmore 2021 de la Société des Poètes Français). Elle a publié chez L’Harmattan un roman autobiographique, « Le Serment de l’espoir ».