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Deadwood, Pete Dexter

Ecrit par Yann Suty 19.01.12 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Folio (Gallimard), Polars, Roman, USA

Deadwood, Folio Policier, 610 p. 1986, traduit de l’anglais (USA) par Martine Leroy-Battistelli, 9,10 €

Ecrivain(s): Pete Dexter Edition: Folio (Gallimard)

Deadwood, Pete Dexter

« Cet endroit se prête aux idées noires […]. Ici, rien n’est normal, même le temps. Nulle part, il n’y a d’orages pareils. Le jour de notre arrivée, on a vu deux hommes portant une tête humaine en pleine rue. […] Un Mexicain avec celle d’un Indien, et une crapule qui louchait et qui s’appelait Boone May, avec la tête du hors-la-loi Frank Towles. Tout homme intelligent est donc obligé de réfléchir aux choses de la mort… »

Avec Deadwood, aventurez-vous dans l’Ouest américain, le vrai. Celui des cow-boys, plutôt que des indiens, mais loin des clichés hollywoodiens. Le western auquel nous convie Pete Dexter n’a rien de très glamour. Ou bien, il est ultra réaliste, c’est selon.

Tous les personnages, à l’exception d’un seul (et peut-être le plus fou de tous), ont existé et on été présents à Deadwood dans les années 1870. On retrouve des noms rendus mythiques par le cinéma : Wild Bill Hicock, Calamity Jane. Mais sous un jour beaucoup moins flatteur. Ce ne sont que des pochards, des dégueulasses qui ne se lavent qu’une fois de temps en temps, et qui n’ont pas franchement le profil de héros sauvant la veuve et l’orphelin. Au contraire.

Autour d’eux gravite tout un monde interlope de prostitués, de prédicateurs, d’arnaqueurs, de combinards, de cow-boys à la gâchette facile.

Il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Mais c’est du chacun pour soi. La loi de l’Ouest, c’est la loi de la jungle.

Le roman a donné naissance à une série télé éponyme. C’est logique tant celui-ci est construit comme une série (alors qu’il n’a pourtant été publié qu’en 1986), pleine de séquences courtes, de rebondissements, avec une foule de personnages pittoresques. On n’a pas le temps de s’ennuyer.

Pour les amateurs de la série, on en viendrait à regretter que le Sheriff Seth Bullock et le tenancier de bordel, Al Swearingen, les deux personnages principaux, n’aient pas, dans ces pages, de rôles plus conséquents. Al Swearingen paraît dans le livre bien sage, loin du psychopathe télé sur le point d’exploser à tout instant.

De même, alors que la série est d’une grossièreté extraordinaire, le livre de Pete Dexter reste très mesuré, presque prude. Le sexe masculin est ainsi désigné par le très gentil sobriquet de « flûte ». On est loin des « Fuck », « Motherfucking dick » et autres réjouissances langagières qui ponctuaient chaque phrase de dialogues des personnages de la série, et qui lui donnaient, vraiment, ce petit quelque chose en plus…

Le livre se rapproche aussi du format sériel, car il y a peu de narration et beaucoup de dialogues.

Abondance de dialogue est trop souvent signe de facilité. Pete Dexter a réalisé un extraordinaire travail de documentation pour rendre crédible les Etats-Unis de la fin de la conquête de l’Ouest, nous emmener dans un voyage vers le passé, mais pêche un peu du côté de l’écriture. A côté d’autres westerns comme ceux de Cormac McCarthy, Deadwood fait pâle figure, manque d’un certain souffle épique, de lyrisme.

Ici, il n’y a pas d’envolées stylistiques. On reste dans la boue, on ne lève pas la tête. Chacun dans son petit coin s’affaire à sa bouteille. Deadwood, c’est l’Ouest américain un lendemain de cuite. Rien n’est net, tout vacille, et le seul remède qui vaille est de se resservir un coup.


Yann Suty


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A propos de l'écrivain

Pete Dexter

Pete Dexter, est un écrivain et scénariste américain né en 1943 à Pontiac, Michigan. Il a reçu le National Book Award en 1988 pour son livre Paris Trout.

Après de longues études universitaires, Pete Dexter devient, au début des années 1970, journaliste au Philadelphie Daily News. Il passe de simple reporter à "columnist", c'est-à-dire qu'il dispose d'une colonne quotidiennement, qu'il alimente du billet qu'il veut. Pour écrire, il parcourt la ville et choisit systématiquement les reclus ou les marginaux.

Son goût pour l'alcool l'aide sûrement à écrire ses papiers, mémorables pour la plupart.

Avec une réputation désormais acquise, la vie de Pete Dexter prend un tournant le 9 décembre 1981. Alors qu'il écrit un article sur la mort d'un enfant par overdose dans un quartier pauvre, la famille de l'enfant réfute les faits et demande au journaliste de réécrire son papier, ce que Dexter refuse. Le frère du jeune homme le menace et, ne pliant pas, Dexter se retrouve à l'hôpital.

La légende veut que Dexter soit arrivé à l'hôpital dans un piteux état, que de nombreuses opérations de chirurgie esthétique furent nécessaires, ainsi que de longs mois de rééducation. Dans tous les cas, cette période profita d'une certaine manière à Pete Dexter qui arrêta l'alcool et qui commença à écrire de la fiction.

Ses ouvrages sont d'ailleurs marqués par cette histoire : "Paperboy" (1995), "Deadwood" (1986) ou encore "Train" (2003). En 2007, Pete Dexter publie une compilation de ses écrits journalistiques intitulée "Paper Trails : True Stories of Confusion, Mindless, Violence and Forbidden Desires, a Surprising Number of Which are Not About Marriage". Un titre qui en dit long sur le personnage.

L'année suivante, son polar 'God' s Pocket' est, comme souvent, salué par la critique.


God's Pocket (1984)

Deadwood (1986)

Paris Trout (1988) (1988 National Book Award for Fiction)

Brotherly Love (1991)

The Paperboy (1995)

Train (2003)

Paper Trails (2007)

Spooner (2011)


A propos du rédacteur

Yann Suty

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Membre fondateur


Yann Suty est écrivain, il a publié Cubes (2009) et Les Champs de Paris (2011), chez Stock