De terre de honte et de pardon, David Léon
De terre de honte et de pardon, 2018, 50 pages, 13 €
Ecrivain(s): David Léon Edition: Espaces 34
« La dédicace »
Il y a des textes dont le centre de gravité (on pourrait considérer ce mot dans son sens physique et moral : ce qui a du poids) se situe dans ce que beaucoup pourraient prendre pour un simple détail ; la dédicace, le don absolu du livre à celui qui sera lecteur d’exception et souvent lecteur dans l’absence ou la mort. Le dernier opus de David Léon, édité chez espaces 34, appartient à cette catégorie-là. En effet, tout est scellé dans le « à ma mère » qui précède l’œuvre et que seul le lecteur de théâtre peut saisir ; le spectateur ne possèdera pas cette clef du sens à venir. Je ne l’avais pas approché, quant à moi, lorsque je découvris pour la première fois De terre de honte et de pardon, en lecture musicale au Théâtre Ouvert à Paris, le 27 novembre dernier. La figure maternelle surgira dès la scène capitale, fondatrice (p.11) en victime des coups du père dans la maison, une nuit. Scène surprise, ravie et racontée par l’enfant, par David. Elle apparaît donc à la fois en personnage et en incarnation possible de la « mère dédicace ». Elle devient « mère » sans que sa désignation ne soit précédée d’une détermination affective et possessive mais grandie par cette expression un peu surannée.
David Léon ouvre le texte sur notre interrogation : faut-il croire en une construction autobiographique puisque l’auteur porte le même prénom que le fils qui parle ou bien à un jeu littéraire de miroirs ? David est aussi roi d’Israël. L’incipit de la pièce (p.9-10) en italiques détermine le fondement de la superposition entre emprunts-citations et écriture personnelle de l’auteur. Le Jugement de Salomon (Livre des Rois 3-16-28) inscrit bel et bien le texte dans ce va-et-vient. Le débat entre les deux femmes devant le Sage biblique tourne autour de la maternité, de celle qui sera mère de l’enfant. Violence envisagée contre l’enfant convoité et violence du poing du père dans le ventre de mère.
En quelque sorte, David Léon nous invite à penser que les deux dimensions de son texte (références très nombreuses à la Torah, à Ovide, à Faulkner, au norvégien Vesaas) et sa propre matière sont indissociables. Le jeune garçon au centre du texte qui, pas à pas, comme en une suite d’épisodes, de tranches de vie familiale construite entre le jour et le coucher, fabrique lui aussi dans son « carnet d’écritures », sorte de journal intime littéraire, son propre texte. A la fois, il restitue des scènes familières comme celles de l’école ou de la mort de la grand-mère et il recopie, tous les soirs, il écrit pour échapper à l’enfer familial, à la folie suicidaire de son frère qu’il nomme « Petit-Père », répondant ainsi à la prophétie de sa mère qui voit en lui celui qui sera « du côté des Lettres », celui qui les « sauvera de la honte ». Mise en abyme vertigineuse pour qui connaît l’œuvre de David Léon : retour des personnages du Batman, glissement subtil de la fiction à la vie. David Léon fait la même chose que le David si blond de la pièce : il cite et invente.
L’écriture ainsi est-elle un art poétique, qui avoue ses sources premières comme le pardon efface la honte sociale (la mère qui ne lit pas), la honte clanique. Le titre d’ailleurs traverse à maintes reprises l’intégralité du texte. L’absence de virgule entre « de terre » et « de honte » dévoile ces passages sans obstacle et le « et » de clôture dit l’aboutissement de toute chose. Ce qui a été écrit est ce qui a été pensé par l’auteur et l’excipit fait se rejoindre ces deux lignes dans la toute dernière phrase : « j’ai récité pour lui le livre de terre de honte et de pardon ». Le fils s’adresse alors au père, cette fois-ci, dans une posture d’apaisement, de proximité, loin de sa première apparition en mari qui cogne.
Mais par-delà les enjeux littéraires, David Léon révèle que profane et sacré se répondent sans cesse dans le quotidien non pas seulement parce que mère fréquente les églises mais parce que le Livre et son livre ne font plus qu’un.
De terre de honte et de pardon a fait l’objet d’une autre lecture musicale dirigée par B. Czuppon à la Baignoire à Montpellier en janvier 2017.
Marie Du Crest
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