De natura florum, Clarice Lispector (par Yasmina Mahdi)
De natura florum, Clarice Lispector, éd. Des femmes-Antoinette Fouque, novembre 2023, trad. portugais (Brésil), Jacques & Teresa Thiériot, Claudia Poncioni, Didier Lamaison, ill. Elena Odriozola Belastegui, 50 pages, 17,50 €
Ecrivain(s): Clarice Lispector Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque
Les Jeux floraux, également appelés Floralies ou Floralia, étaient des fêtes célébrées dans la Rome antique en l’honneur de Flore, déesse des fleurs, des jardins et du printemps, d’origine sabine.
Le culte de celle-ci fut établi à Rome par Titus Tatius, roi légendaire de Cures Sabini, puis roi de Rome en même temps que Romulus.
Institués de façon annuelle en 173 av. J.-C. par les édiles curules, les Jeux floraux faisaient partie des plus anciens célébrés à Rome même. Ils se déroulaient du 27 avril au 2 mai.
Ils furent introduits dans tout l’Empire au fur et à mesure des conquêtes romaines, et fort appréciés des peuples conquis en raison de leur caractère licencieux (Source, Wikipédia).
Floralia
La grande femme de lettres Clarice Lispector (Chaya Pinkhasovna Lispector, née de parents juifs en 1920 à Tchechelnyk en Ukraine, morte à Rio de Janeiro en 1977) a composé ce qui pourrait s’apparenter à un album-jeunesse, destiné à faire rêver et à réfléchir. À l’instar du célèbre traité De rerum natura, du poète latin Lucrèce, et du Langage des fleurs, de Charlotte de La Tour en 1818 (ouvrage réputé être le premier et l’initiateur du genre, qui submergea l’Europe et rencontra le succès jusqu’en Amérique et en Afrique du sud), Lispector poursuit un genre littéraire prisé où le message secret se joue en filigrane. L’écrivaine ukraino-brésilienne répertorie un échantillon floral, un ensemble composite de fleurs hétérogènes, de la plus simple à la plus sophistiquée, de la plus commune à la plus ténébreuse. Elle enrichit chacune des fleurs citées d’un caractère propre, en les anthropomorphisant. Elle immortalise ainsi un herbier personnel, un bouquet étrange, allant de la très humble fleur des champs à l’orgueilleuse orchidée. Elle relève le caractère sacré du parfum floral, sa sensualité, la délicatesse de certaines espèces, la résistance pour d’autres, ou au contraire la violence des coloris des fleurs fétiches, voire le danger des fleurs vénéneuses, empoisonneuses… Tout comme les animaux, quelques spécimens éclosent de nuit tandis que d’autres s’épanouissent sous le régime solaire, sur la terre ferme ou dans les milieux aquatiques.
Clarice Lispector parle de la génération, de la fécondation, de la croissance de l’impérieuse nature. Les couleurs ont une grande importance et l’auteure les dote de sentiments ambivalents, de passions : « Les œillets rouges hurlent en violente beauté. Les blancs rappellent le petit cercueil d’un enfant défunt (…) Les roses (…) blanches sont la paix », l’azalée incarne l’amitié. Derrière chaque fleur se cachent peut-être l’esprit et le trait d’âme de Lispector, caractéristiques accolées à sa personnalité, à ses désirs, ses amours. À sa nostalgie également, au vu du court cycle de la flore terrestre. Les fleurs citées témoignent des préférences et du goût à la mode d’une époque, ce à quoi et à qui elles sont destinées, uniques ou en bouquet – les chrysanthèmes par exemple fleurissent aujourd’hui les tombes le jour de la Toussaint. Il s’y trouve une mystique dans cet inventaire subjectif et intime : « L’angélique ; son parfum est de chapelle. Elle porte l’extase. Elle rappelle l’hostie ». L’inflorescence cache « un mystère féminin », aux dires d’une Lispector féministe, ou une androgynie pour le tournesol – les plantes remettent en question les notions genrées : « Est-ce que le tournesol est une fleur féminine ou masculine ? ». L’on reconnaît l’attention particulière que Clarice Lispector porte au monde, le rendant sien avec fougue et étrangeté.
Les illustrations imaginatives à la peinture acrylique et aux crayons de couleur d’Elena Odriozola Belastegui (née en 1967 à Saint-Sébastien, finaliste en 2020 du Prix Hans-Christian-Andersen) apparaissent toujours sur un fond herbeux horizontal rouge rosé, très dense. Des personnages évanescents, naïfs, stylisés, hiératiques, se promènent en rang ou en se tenant par la main. Des insectes volètent, parfois démesurés. Les doubles-pages du lapin bleu géant près d’une femme-feuillage et du renard observant les montagnes sont particulièrement réussies. Les fleurs sont dotées de visages, comme dans les tableaux féériques et oniriques anglais. Les 20 fleurs de prédilection de cette grande dame de la littérature sont réinterprétées à l’aide d’impressions au trait. Un beau livre de collection, à la couverture cartonnée de 14 x 21 cm.
Yasmina Mahdi
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