De la métaphysique pour reposer du politique
Ecrit par Kamel Daoud le 17.05.13 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques
… Ce qui me bouleverse ce n’est pas ma mort : elle est mienne. Ce qui me chavire, me donne le vertige, me remplit d’extase et abîme ma pensée c’est ma naissance. Ma venue au monde. Comment cet immense vide qui me précède a fini par se concentrer dans l’infinie probabilité du hasard et l’extrême précision de la nécessité, pour m’engendrer moi, mes pensées, mon identité ? Qu’est-ce qui a obligé le vide à se remplir par ma présence. En quoi suis-je une nécessité et comment un être que rien n’attend finit par venir au monde comme une personne que rien ne remplace ?
Ce n’est pas ma tombe qui me fascine, mais le vide auquel je m’adosse. Le grand cosmos qui précède mon prénom est plus inquiétant et plus inexplicable que la pierre tombale qui va seulement essayer d’un peu me retenir.
Ce n’est pas la disparition qui est un drame, mais la naissance. Que je retourne au vide n’est que pente naturelle, mais que je remplace le vide par ma personne voilà le grand mystère, la formidable inquiétude qui devrait tous nous faire tourner la tête vers les commencements et occuper notre réflexion.
Dans la nuit vaste, un feu s’allume. On s’étonne absurdement qu’il s’éteigne et on ne s’interroge pas sur qui l’allume, pour regarder quoi au juste, à quelle fin et quelle est la main qui tient le feu, le prolonge, en accouche ou y espère la clairvoyance. Et dans cette nuit, je suis assis et je réfléchis à mon sort. Certains me disent que c’est une main qui allume le feu, d’autres que c’est un accident, d’autres brûlent et tournent la tête dans tous les sens et d’autres encore pensent qu’il est inutile de comprendre ou d’autres qui croient qu’il y a un feu plus grand quelque part dont nous sommes seulement ses étincelles. Ma seule certitude est donc mon ardeur. Le reste est galets jetés dans les eaux noires. Nous voyageons et nous nous éclairons les uns pour les autres, je crois. Cela est ma seconde certitude. Certains donnent de leur feu et d’autres en éteignent sur leur chemin. C’est l’image que j’ai de notre condition. De la mienne.
Tout cela pour parler de ce vertige qui m’a saisi brusquement, une nuit, seul pendant que tous dormaient. J’ai fermé les yeux et j’ai pensé à ma naissance et j’ai failli tomber du haut d’une très haute falaise et je me suis ressaisi à la dernière seconde. À côté de ce vide, la mort apparaît comme un mystère secondaire. Je suis confronté, de plus en plus, depuis cette nuit à quelque chose d’invraisemblable qui se cachait derrière mon prénom et mes habitudes : l’être infini que je suis et que j’ai toujours été sans le savoir. La mort dans ce cas n’est qu’un moment de déjà-vu.
Kamel Daoud
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A propos du rédacteur
Kamel Daoud
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Kamel Daoud, né le 17 juin 1970 à Mostaganem, est un écrivain et journaliste algérien d'expression française.
Il est le fils d'un gendarme, seul enfant ayant fait des études.
En 1994, il entre au Quotidien d'Oran. Il y publie sa première chronique trois ans plus tard, titrée Raina raikoum (« Notre opinion, votre opinion »). Il est pendant huit ans le rédacteur en chef du journal. D'après lui, il a obtenu, au sein de ce journal « conservateur » une liberté d'être « caustique », notamment envers Abdelaziz Bouteflika même si parfois, en raison de l'autocensure, il doit publier ses articles sur Facebook.
Il est aussi éditorialiste au journal électronique Algérie-focus.
Le 12 février 2011, dans une manifestation dans le cadre du printemps arabe, il est brièvement arrêté.
Ses articles sont également publiés dans Slate Afrique.
Le 14 novembre 2011, Kamel Daoud est nommé pour le Prix Wepler-Fondation La Poste, qui échoie finalement à Éric Laurrent.
En octobre 2013 sort son roman Meursault, contre-enquête, qui s'inspire de celui d'Albert Camus L'Étranger : le narrateur est en effet le frère de « l'Arabe » tué par Meursault. Le livre a manqué de peu le prix Goncourt 2014.
Kamel Daoud remporte le Prix Goncourt du premier roman en 2015