De Gaulle et Mauriac, Le dialogue oublié, Bertrand Le Gendre
De Gaulle et Mauriac, Le dialogue oublié, mars 2015, 180 pages, 18 €
Ecrivain(s): Bertrand Le Gendre Edition: Fayard
« Leur héritage nous fait leçon, mais c’est un héritage sans héritiers. De Gaulle et Mauriac sont trop singuliers pour que l’on puisse se réclamer d’eux de nos jours ».
Le dialogue oublié ou les raisons d’une passion française. C’est à cette part de l’histoire politique et littéraire française que nous convie Bertrand Le Gendre. A la gauche il y a François Mauriac (c’est de Gaulle qui parle), prix Nobel de littérature, journaliste admiré, craint et parfois honni, chrétien social, d’une trempe rarement égalée. A ma droite le Général de Gaulle, l’homme de Londres, surréaliste sur ces messages de Radio Londres (Philippe Sollers) « Les renards n’ont pas forcément la rage, je répète… ». « J’aime les femmes en bleu, je répète… ». « Nous nous roulerons sur le gazon ! », l’homme de l’unification de la Résistance, de la V° République et de la fin de la guerre d’Algérie. Leur dialogue court sur trente ans, de l’Occupation aux lendemains de mai 68. Leur histoire, comme celle finalement de Malraux et du Général (l’occasion de lire ou de relire le lumineux André Malraux Charles de Gaulle, une histoire, deux légendes d’Alexandre Duval-Stalla, L’Infini Gallimard), est cette part commune de l’Histoire française, cette passion commune. Tous les deux s’emploient à choyer leur langue et leur territoire, au risque parfois d’être incompris.
« Par quels détours échappe-t-on à un avenir tout tracé par la naissance et l’éducation ? Comment s’affranchit-on d’un milieu social conservateur et conformiste ? Par quel mystère devient-on un rebelle ? Charles de Gaulle et François Mauriac illustrent chacun à sa manière cette entorse au destin ».
L’écrivain et le militaire chaque jour recommencent leur guerre, et ce n’est pas une drôle de guerre. Rebelles à l’occupation et à Vichy, à ce et à ceux qui les empêchent de voler, aux destins qu’ils n’ont pas choisis, aux combats où l’on tenterait de les réduire. D’une bataille l’autre, l’écrivain de Malagar échoue dans sa bataille pour sauver Brasillach de la mort, le Général le reçoit et l’écoute, mais Mauriac n’a pas su se faire entendre. Il ne l’a pas davantage compris. Il dira de ce rendez-vous : « J’étais absent de mon propre corps, je flottais très loin de cet être de tension et d’attention qui était là… Sans doute le Général a-t-il dû me trouver idiot ». De Gaulle prend le temps qu’il faut pour imposer sa vision de la République, sa solution pour l’Algérie, l’écrivain l’aura devancé dans son « Bloc-notes », les guerres se gagnent parfois sur plusieurs fronts à la fois. Si l’écrivain et le Général se voient peu, ils s’entendent à distance, une question de style (du Bloc-notes au Salut) et les fils de l’écrivain sont au plus près de lui. Jean (Malagar) journaliste et observateur privilégié et Claude (Le Temps immobile) dans l’antichambre du pouvoir, et ne cessent de tisser ce lien subtil qui unit l’Ecrivain et le Président.
« Hommes de plume et de terroir. Chaque jour, de Gaulle et Mauriac font à pied le tour de leur domaine pour ordonner leurs idées. Toujours strictement vêtus. Philippe de Gaulle : « A Colombey, dans le jardin, nous ne l’avons jamais aperçu (…) sans cravate… ». Jean Mauriac : « Son grand béret basque ou son chapeau blanc sur la tête, ses espadrilles au pieds, il retrouvait ses origines : il redevenait un paysan. Mais un paysan en cravate ! »
Le dialogue oublié ou le temps retrouvé, le temps de la résistance, des premières marches du pouvoir, du renoncement, du retour, du crépuscule, temps présent de ces hommes d’exception (Mendès est aussi invité, Mauriac y a cru contre de Gaulle), romanesques, politiques (civilité), en mouvement permanent jusqu’à ce que le corps ne lâche (ce naufrage – j’ai l’impression d’une usure).
Philippe Chauché
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