Danser les ombres, Laurent Gaudé
Danser les ombres, 250 pages, 7,80 euros.
Ecrivain(s): Laurent Gaudé Edition: Babel (Actes Sud)
Laurent Gaudé à travers ce roman rend hommage à Haïti et à sa population. Il en trace une cartographie emplie d’humanité, de courage, sans pour autant tomber dans le misérabilisme. Ici, ce sont encore les liens humains qui priment, malgré les manœuvres et les turpitudes politiques. Lucine, arrive de Jacmel à Port-au-Prince pour y annoncer un décès. Mais très vite, elle prend conscience qu’elle ne pourra plus repartir de cette ville où elle a vécu les révoltes estudiantines. « Elle était là, elle, au milieu de tout cela, et elle sentait qu’elle retrouvait non seulement sa ville, puante, grouillante, frénétique, mais aussi sa propre existence. » Gaudé montre aussi à travers des vies et des personnages qui se croisent les différences sociales énormes de ce pays. «La grande porte du grillage s’ouvre enfin et Saul découvre ce qu’il ne pensait pas possible à Port- au-Prince : un vaste parc en terrasse, verdoyant, où des petites allées de graviers serpentent à travers les manguiers, descendent en escalier jusqu’à une immense villa qui domine la ville (….). Le vrai luxe pense t-il à cet instant, c’est d’échapper aux regards. Dans cette ville où tout le monde vit dehors, où l’on peut assister- le temps d’une promenade- à des disputes, des parties de cartes entre amis, des bains de nourrissons, le vrai pouvoir, c’est se soustraire aux yeux des autres. »
Gaudé sait mêler l’universel au particulier dans les différents portraits qu’il trace, telle la sœur de Lucine, innocente généreuse et « idiote ». « Cinq ans et un deuxième enfant était né, parce que Nine était toujours aussi belle et que lorsqu’elle marchait dans les rue de Jacmel en disant des obscénités, les vielles négresses s’offusquaient, mais les boucs, à leur côtés, ne rêvaient que de presser entre leurs doigts les formes généreuses de la folle, sein, fesses, ils voulaient tout (…). »Lucine est hébergée dans une ancienne maison close, chargée d’histoire. Il y règne une atmosphère d’amitié et de complicité.
Et puis, c’est le tremblement de terre : « Hommes, ce qui est sous vos pieds vit, se réveille, se tord, souffre peut-être, ou s’ébroue. La terre tremble d’un long silence retenu, d’un cri jamais poussé. » A partir de ce moment, des forces insoupçonnées se mettent en branle, malgré les moments de désespoirs. « Alors, ils marquent tous un temps de silence. Ils pensent à la même chose, sans se le dire. Toutes ces années de combats, des Duvalliers père et fils à Aristide, jusqu’à l’opération Bagdag, toutes ces années où il avait fallu s’arc-bouter contre la tyrannie et l’ignorance et tout cela pourquoi ?...Pour arriver à ce jour ? (...) En quelques secondes… A quoi tout cela a t-il servi ?... Qui se joue d’eux ?... Et puis il y a cette fin magnifique, onirique, qui nous rappelle à nos croyances et à notre finitude. Le travail du deuil doit se faire d’une manière ou d’une autre. « Pour que les vivants vivent, il faut que nous semions les morts. »
Zoé Tisset
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