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Dans ta voix, tous les visages disent « Je », Serge Ritman (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 31.05.21 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Poésie

Dans ta voix, tous les visages disent « Je », Serge Ritman, éditions Tarabuste, février 2021, 156 pages, 15 €

Dans ta voix, tous les visages disent « Je », Serge Ritman (par Didier Ayres)

 

 

Poétique de l’abstrait

Il m’arrive souvent de choisir, de décider parfois lentement de la bonne clé, d’une certaine clef que je puisse considérer comme le pivot du livre. Je dis « clé », mais il serait plus juste de dire : le dessin dans le tapis. Ou encore, parler d’une idée maîtresse. Ici, avec ce livre, je fus confiné à des impressions de scansions, de télescopages. Je n’ai cessé de ressentir un chaos, non parce que cette poésie serait confuse, mais au contact d’une certaine prosodie que l’on nommerait squelettique, pour paraphraser Jean Genet, d’éléments simples, architecturaux, presque en lutte. Est-ce le travail de l’écriture où se rencontreraient un parapluie et une machine à coudre ? Je ne sais répondre car je n’ai pas épuisé ma sensation.

avec tout tu

alors je contre tous

les moi les toi qu’on

sait où

quand comment

tu viens je te dis

je pars tu vacilles

ou l’inverse tu je

 

Pour moi, il s’agit d’une littérature heurtée, dont le fond mérite une intellection. Ce que je nomme par ces épithètes et ces synonymes de saccade, de heurt, d’écriture brisée, je le fais car se livrer à ces poèmes, reste autant une expérience de ce qui manque que de ce qui reste. Pour tout dire, j’y ai vu une construction propre à la théologie négative, effacement dans le sens où l’emploie la sculpture, qui ne peut former sans retirer. Enlever, là, dans le poème, pourrait se résumer la force de cette expression poétique, où le labeur n’a rien de laborieux mais pousse le lecteur à l’intrigue, la question, à l’intelligence des vers.

Ces poèmes sans majuscules ni presque de ponctuation, cherchent un au-delà de l’apparence, et pour finir donne peu d’information biographique, sinon quelques noms de lieux, ou encore la présence d’une amie, d’une autre, d’une figure où se porte en définitive l’adressage du livre (Dans ta voix).

 

sur les galets de mes poèmes, tu poses pour la photographie : ton visage tourmenté met la mer dans tous ses états

le cliché ne peut arrêter ton infinie : tes brûlures incendient mes ciels, ma sage impatience brûle

rien à voir qu’à jeter le rocher, de mon désespoir aux ricochets du poème : ta voix photographiée dans mes silences, mes cris mes raisons contre toutes les images de toi

ou

ton mystère je te connais

en devenir proche au loin

tu es

ta main elle vole

 

De cette manière, en fouillant mon vocabulaire, je me suis arrêté sur cette belle épithète : abstractisation, rendre abstrait. Et c’est une recherche profonde, loin de la contingence, quêtant un certain absolu où reconnaître toutes les voix du poète qui déboucheraient sur Ta voix, à quoi se livre l’écrivain.

Est-ce une manière d’accéder à un certain mystère, une forme d’étrangeté qui obvierait, parerait la signification ? Est-ce encore une sorte de soupçon qui, depuis Nathalie Sarraute, resterait opérant ? Et cette abstractisation mène-t-elle au sacré ? Par exemple, quand l’approche intellectuelle au cœur de l’ouvrage, serait le grand manteau où se dessinent le contact avec les à-coups, les battements, les aheurtements qui n’engageraient pas une lecture en sauts, mais comprise comme un rassemblement, une fusion, une union de ces faisceaux des brisures. On ne cesse jamais de réfléchir aux soubassements de cette poétique, articulée, agencée, en une espèce de machine complexe qui n’appartient en général qu’aux poètes.

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.