Dans l’Utérus du volcan, Andrea Genovese
Dans l’Utérus du volcan, janvier 2018, 220 pages, 19 €
Ecrivain(s): Andrea Genovese Edition: Editions Maurice Nadeau
Vanni, Sicilien d’origine établi à Lyon, est invité dans sa ville natale pour y recevoir le Grand Prix de Poésie Chrétienne qui lui a été décerné par le Parrain de la Mafia locale Lorenzo Ferella, lequel a créé ce prix, accompagné d’un chèque de dix millions de lires, en hommage à son père poète Gaetano Ferella, pour afficher le côté « respectable » et « cultivé » de son statut de notable.
Dès son arrivée, Vanni, qu’accompagne son épouse lyonnaise Louise, est pris à la fois dans la nasse de ses souvenirs d’enfance, dans la trame de ses relations avec sa famille et ses amis d’avant, et dans les mailles du réseau de Ferella, qui se débarrasse de sa splendide maîtresse Lillina dont il s’est lassé en l’envoyant au poète en guise de cadeau de bienvenue en supplément au prix de poésie. Dans le même temps, Roberto Meruli, un comparse du patron mafiosi, est chargé de sonder Vanni pour d’éventuelles « affaires » à monter dans la région lyonnaise.
Le récit baigne d’un bout à l’autre dans la trouble torpidité d’un été torride, d’un climat mafieux ponctué par une scène de torture d’une violence extrême suivie du meurtre d’un traître à la Cosa Nostra locale, et d’un chassé-croisé complexe, sensuel, et bientôt ouvertement sexuel, entre Vanni, Lillina, Louise et Roberto, aux pieds de l’Etna et face à sa menace perpétuelle de cataclysme.
L’auteur entremêle ces éléments narratifs au grand bonheur de tout lecteur qui aime se retrouver pris dans la magie des scènes d’attentes, des ressorts et des rebondissements comme un piroguier descendant un courant alternatif ponctué d’eaux troubles apparemment dormantes, de rapides bouillonnants et de chutes brutales.
Les personnages sont campés comme semblant ne pas maîtriser le cours des événements, comme si, de façon symbolique, l’auteur signifiait globalement que dans ce milieu clanique, les individus abandonnent avec fatalisme leur destinée au parrain et à ses sbires, acteurs tirant les ficelles des réseaux de pouvoir mafieux sous la coupe desquels tous les habitants tombent dès leur naissance.
La loi du plus fort est ici loi naturelle, comme l’exprime métaphoriquement le parrain Lorenzo dans le cours de ses pensées philosophiques en observant sur la mer le manège nocturne d’un pêcheur de poulpes :
Il imagina le poulpe en train de s’approcher du terminus de son voyage, et le bougre à l’affût, prêt à le harponner […] Embûches et guet-apens étaient les modes opératoires de la pêche. Depuis la nuit des temps […] Gare au petit poisson ! Il assurait la survie du gros…
Le récit est agrémenté d’interférences mythologiques et de références à une riche intertextualité littéraire, ce qui permet de tempérer le rythme des péripéties et qui confère à la narration une tonalité culturelle intéressante et, ponctuellement, une couleur poétique, parfois proche d’un certain lyrisme tragique qui accentue l’impression de sombreur ambiante.
La solitude, le désespoir du Cyclope, avec son œil unique, ivre et coléreux dans la nuit orageuse, illuminant la mer livide aux bateaux en détresse et leur cachant la côte abrupte, les écueils et les falaises, le décor de tous les naufrages.
La dramatique actualité migratoire s’impose lors d’un épisode particulièrement troublant du roman, à la limite entre rêve et réalité, lorsque Louise en déconfiture rencontre en pleine nuit sur la grève, accompagné d’un agneau, un jeune immigrant nu avec qui elle vit un moment décalé, et lorsque Lucio, un ami d’enfance de Vanni, pénètre dans la cabane d’une belle Somalienne qui se prostitue au cœur d’un bidonville peuplé de réfugiés.
Une certitude : on ne s’ennuie pas Dans l’Utérus du volcan…
Patryck Froissart
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