d’encres verdeurs, Daniel Louis-Etxeto
d’encres verdeurs, Daniel Louis-Etxeto (poèmes), Encres de Jean-Pierre Etchemaïté, 2016, 51 pages, 25 €
Ecrivain(s): Daniel Louis-Etxeto Edition: Les Vanneaux
D’ombres et de poudre d’éclats, les poèmes d’encres verdeurs palpitent délicatement à fleur des sens et des mots au cœur d’une « floraison d’écume », pour tenter de dire dans la verticalité de la page « les chemins de la langue » empreints d’odeurs, de senteurs, sillonés d’humus, de résine et de sable, pour trouver les mots aptes à dire
« l’âcre verdeur des feuillages
et le jour qui tremble dans les ramures ?
– Chant dont les paroles crissent aux lèvres
comme eau verte et saline »
La traversée du Poème orchestre ici une partition ample des sens, dans un dialogue entre textes & encres, entre blancs & noirs (les mots, chaque touche pigmentée, comme des Galets neigés de la nuit), entre cheminements & ascensions, dont la synesthésie des sensations et des éléments cosmiques se diffuse et infuse la lumière du Texte même, tout en senteurs et vibrations, dans un vaste et délicat mouvement remontant de la terre, du sable, de l’enfance et imprégnant le lecteur en le conduisant dans ses sillages, sans à-coups vifs de la langue, sans gestuelle trop appuyée, avec toute la force patiente d’une poésie du monde que le poète nous transmet par le chant de ces bribes d’éléments naturels, élémentaires, condensés fluides ou imperceptibles du vivant, oubliés d’ordinaire et par ailleurs, révélés par ces encres verdeurs.
Les poèmes de Daniel Louis-Etxeto sont si saisissants que le goût de leurs mots vient à la bouche, comme des souches émettraient de leur mémoire d’arbres une forêt de signes. Le regard du lecteur s’ouvre par ces chemins d’encres verdeurs à des horizons « d’onde pure », d’« eau lustrale », de candeurs lucides, de monde « de pure beauté ». Les encres de J.-P. Etchemaïté offrent des flambées dont l’âcre verdeur des feuillages et des mots tremble dans les ramures de la page – flambées d’altitudes où l’air ne vient pas à manquer mais où le poème s’oxygène (ou se ré-oxygène) de retours aux sources, à la langue, aux voix anciennes toutes bruissantes de présences et d’une genèse des lignes de notre mémoire ; où le Poème signe l’« Attrait de grand ciel » :
« Soudain, dans ce ciel de roses anciennes
ce fut, dans le jour expirant
floraison de pétales sanguines
Venue d’efflorescences de silex
toutes bruissantes
dans la clarté mourante
Et des salves de cris rauques
raclèrent le ciel de douleurs et d’espoir
le criblant de fuite éperdue
Ainsi filaient plein sud
les vols
dans un grand effroi d’hiver
Aspirés par un irrésistible attrait de grand ciel
dans un aveugle instinct
de l’ouvert et du large ».
Les sonorités ont un frottement d’ailes, la contingence prend l’air du poème en accordant son rythme sur une musique d’inflorescences et de ciel, réciproquement le poème se déclenche dans l’aléatoire automatique (« Soudain (…) / ce fut, (… ») ; des salves de cris prennent de court l’envergure des hauteurs et peignent dans « un irrésistible attrait de grand ciel » le passage des vols migratoires emportés dans la fluidité magnétique de l’instinct de conservation et de survie, dans les lignes d’un océan cosmico-lyrique où l’imprévu retour des oiseaux sauvages se conjugue avec douleur et espoir (« Et des salves de cris rauques / raclèrent le ciel de douleur et d’espoir / le criblant de fuite éperdue », « Ainsi filaient plein sud / les vols / dans un grand effroi d’hiver »). On voit comme la poésie de D. Louis-Etxeto retentit discrètement de fragrances et résonances cosmiques, comme elle met en échos les voix intérieures et extérieures dans une chambre d’espaces à ciel ouvert : la page du poème.
La Langue fuse comme cris dans l’air vers le ciel nacré d’encres traversées de langues de flammes, en lignes de fuite, en courants d’ascendance figurant les vertiges de l’espace, les fulgurations de la beauté, les jaillissements de la lumière – tout cela résonne et s’entrecroise dans l’enchevêtrement des fibres de la page, des plages du Poème. Par les figures littéraires (métonymie, oxymores, …), par les jeux de miroir et les jeux du regard ; par la profondeur de champ et les travelling sur des passages en escales, en se pausant grâce à la focalisation d’un instant savouré, le poème vibre de sa langue picturale, les encres vibrent de leur écriture comme scripturale
« Saetas
Cris fusant dans l’air du soir
plongeant, fuyant, s’effaçant
piquetant de leurs gemmes
le ciel nacré, irréel
flèches noires – fulgurante beauté –
jaillies de lumières encor vives
trajectoires à l’aveugle
que guide un sens inné de l’espace
Piqué vertigineux dans l’ombre
arrachement vers le ciel
et les trilles exultants – étincelles d’argent –
jetés en grappes contre les murs de brique
Dans le patio, nos regards
implorant ce ciel de rose et de lilas
et notre chant muet
volant dans la ronde sauvage »
Comme l’oiseau, le poisson fuse du ventre de la page et son cri qui ondule s’assigne à résistance dans la mouvance des vagues et des plages d’écriture, dans un embrasement des sens indemnes de trouble, de bruit, d’éclat qui, même éclat, n’en est que délicatement poudre
« Encore cette eau
Oui, encore cette eau
toute bruissante de dentelles
où un trouble qui palpite
montant de l’ombre des roselières
aux cheveux d’ambre
qui frémissent là-bas
Le sandre
engourdi dans l’obstinée patience des fonds
que ne touche qu’une lumière rare
sent frissonner les herbes
attendant pour fuser
vers la vive clarté
Soudain l’éclair
d’une flèche
un cri qui ondule et se tend
un trait tombant du ciel ardent
une vie qui se tord et exhorte
et s’offre un vif argent
dans l’éblouissement d’une plongée nuptiale
Et sur cette eau
dont rien ne semble
avoir troublé le calme
oui, sur cette eau encore
la lumière demeure
allègre, intouchée
embrasant les nuées de pollens
dans une floraison d’écume
Présence
partout semée,
partout effleurant tout,
posant sur toute chose une poudre d’éclat ».
La qualité de l’impression de cette publication est remarquable, les éditions des Vanneaux publient là un livre d’artiste, au tempo d’ombres et de lumière, qui palpite « dans la pénombre », où poèmes & encres disent les verdeurs « du jour qui tremble » dans les ramures et le chant des paroles, « dans le plain-chant de la lumière », dans l’attente patiente de l’ombrage quand la source d’eau claire y afflue et revient tout au bord de nos lèvres « jusqu’à cet abandon accordé / à l’orée de l’enfance ».
Passe, dans la lumière déposée, dans l’aube de givre et de nacre des premiers matins du monde – sur la page, les plages du temps – le frisson tremblé et le soulèvement des ombres, les battements de cœur sous l’aile des paupières, le flux des marées, des saisons, l’offrande du monde en ses gestes rituels et d’éternité… un éventail en « attrait de grand ciel »…
« L’éventail
Je tiens le souffle
dans ma main
Il bat la mesure
des flux
esquisse de la brise
les turbulents chemins
À mon oreille
ce que me dit le vent crépite
À ma bouche
crisse la soif de pluies d’orage
Et le roulement sur la plage
c’est mon cœur qui palpite ».
Murielle Compère-Demarcy (MCDM)
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