Cuba année zéro, présenté par Orlando Luis Pardo Lazo
Cuba année zéro, présenté par Orlando Luis Pardo Lazo, éd. Hoëbeke, avril 2016, trad. espagnol François Gaudry, 207 pages, 18 €
Anthologie présentée par Orlando Luis Pardo Lazo :
11 nouvelles de Jorge Alberto Aguiar Díaz (1966), Jorge Enrique Lage (1979), Lien Carrazana Lau (1980), Jhortensia Espineta (1976), Ahmel Echevarría Peré (1974), Polina Martínez Shviétsova (1976), Michel Encinosa Fú (1974), Lia Villares (1984), Erick J Mota (1975), Raúl Flores (1977) et Orlando Luis Pardo Lazo (1971).
Beaucoup pensent que l’actualité récente ouvre une nouvelle page dans l’histoire de Cuba, après les années castristes. Une nouvelle page qui a peut-être commencé de se tourner au virage de l’année 2000. D’où le titre de ce recueil qui n’est pas sans écho avec une Allemagne année zéro qui témoignait d’une autre renaissance au lendemain de la guerre.
Si renaissance il y a, cette anthologie, qui rassemble onze auteurs inconnus chez nous, en témoigne généreusement. Mis à part Michel Encinosa Fú dont nous avions pu découvrir une nouvelle dans La Havane Noir (Asphalte, 2013), aucune des voix rassemblées ici n’avait encore été traduite en français (à notre connaissance). C’est donc chose faite. Difficile de trouver une unité dans une telle diversité, même si la couleur qui domine est résolument noire, voire plus noire que noire. Onze auteurs nés entre 1966 (Jorge Alberto Aguiar Diaz) et 1984 (Lia Villares) qui disent une rage de vivre qui passe par la colère, la violence, l’ironie sarcastique, la musique, la drogue, expérimentation littéraire ou simplement le besoin de témoigner de ce qui a été perdu comme de ce qui a été sauvé.
Des écritures qui oscillent entre exil intérieur et exil extérieur (tous ne vivent pas à Cuba aujourd’hui) et dont certaines se sont déjà fait entendre au-delà des Caraïbes au travers de telles anthologies (celle-ci a d’ailleurs aussi fait l’objet d’une première publication aux USA sous le titre Cuba in Splinters Eleven Stories from the New Cuba, OR Books, 2014).
Ironique allégorie avec Ce zombi appartient à Fidel ! d’Erick J. Mota et la zombification généralisée à la manière du Rhinocéros de Ionesco. Le sexe comme antidote désespérant face au vide avec Cuba en échardes de Ahmel Echevarría Peré. Peur et joie de vivre dans Dancing Days de Raúl Flores où le face à face avec la mort n’est pas qu’un jeu. Noirceur, violence et cynisme de la survie dans Le troisième œil du fou de Michel Encinosa Fú, etc. Autant de regards, d’écritures et de mondes avec ces onze écrivains qui esquissent un nouvel imaginaire qui ne renie ni n’oublie le passé pour mieux voir le présent et s’y plonger sans retenue et sans évitements. « Une bande de hors-la-loi, d’électrons libres, de miracle du regard marginal, de résidus d’auteur qui n’appartiennent pas au monde littéraire », nous dit le prologue. Tout un programme ! Il y a parfois quelque chose du manuel de survie dans ces textes, que l’on soit écrivain ou simplement cubain, ou cubaine. Une survie qui tient à un fil… ou plutôt « sur le fil ».
« Tu ne peux pas écrire le ventre plein, ou vide. Tu ne peux pas écrire fatiguée, ni trop réveillée. Ni triste, ni soulagée, ni satisfaite. Si quelque chose te fait mal, attends que ça passe. Si tu te presses trop, ralentis. Et si tu ne trouves pas la lumière, alors attends un peu.
Si tu te fais peur, tu as déjà échoué. Essaie de garder la tête hors de l’eau et, si tu n’as pas l’intention de plonger, parce que tu ne veux pas, fais au moins la planche, c’est mieux que rien » (Trente secondes de silence occidental, de Lia Villares).
Onze auteurs qui sont aussi blogueurs, plasticiens, musiciens, journalistes, critiques littéraires, publicistes, enseignants… Qui nous parlent d’un Cuba qui n’est ni un paradis politique ni un paradis touristique, mais qui est bien un vivier littéraire. Une « année zéro » qui donne une furieuse envie de poursuivre ce compte des années et d’aller plus loin tout en nous en donnant les moyens par le « prologue » d’Orlando Luis Pardo Lazo − qui clôt aussi cette anthologie avec une nouvelle qui se joue de la littérature, de l’exil et des institutions, L’homme, le loup et le nouveau bois − mais aussi par une présentation précise des différents auteurs et de leurs publications antérieures… en espagnol et en attente de traductions ! Avis aux éditeurs… Cuba pourrait bien être un nouvel El Dorado littéraire, avec des pépites parfois bien noires (comme l’humour ou comme la misère et la violence), souvent surprenantes, voire dérangeantes. Que peut-on demander de plus ?
Marc Ossorguine
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