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Croire aux vampires au Siècle des Lumières, Entre savoir et fiction, Stella Louis (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier 12.12.22 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Classiques Garnier

Croire aux vampires au Siècle des Lumières, Entre savoir et fiction, Stella Louis, Classiques Garnier, mai 2022, 268 pages, 32 €

Edition: Classiques Garnier

Croire aux vampires au Siècle des Lumières, Entre savoir et fiction, Stella Louis (par Gilles Banderier)

 

Montaigne, le sage, le pondéré et l’érudit Montaigne, fut le témoin effaré de la chasse aux sorcières (un phénomène qui, contrairement aux idées reçues, ne remonte pas au Moyen Âge), une forme tragique d’hystérie collective qui apparut et s’éteignit d’elle-même, sans que l’on sache pourquoi. Les Essais furent contemporains de la Démonomanie des sorciers de Jean Bodin et de la Démonolâtrie de Nicolas Remy, un juge lorrain dont on aimerait dire qu’il fut à moitié fou, car cela lui fournirait au moins une circonstance atténuante. Au Siècle dit des « Lumières », Voltaire et Rousseau furent les témoins consternés d’une autre forme de psychose collective qui, cette fois, demeura limitée à l’Europe de l’Est et n’affecta pas la France : la croyance selon laquelle des morts pouvaient sortir de leurs tombes pour revenir tourmenter les vivants. Il ne s’agissait pas, si l’on ose s’exprimer ainsi, de banales histoires de fantômes ou de spectres apparaissant aux heures indues, mais de revenants dotés d’un corps matériel, quoique dégradé par leur séjour sous terre.

Ils furent signalés dans toute l’Europe orientale, de la Pologne et l’actuelle Ukraine jusqu’à la péninsule balkanique, récemment affranchie du joug turc (les abondantes archives ottomanes signalent-elles des cas de vampirisme ?). La presse périodique des années 1690-1730 en parla, mais (pour une fois) le bon sens prévalut et ces revenants furent renvoyés à la catégorie des terreurs sans fondement.

Comme l’a bien noté Stella Louis, le texte-pivot qui expédia les vampires parmi les contes de fées fut écrit par un érudit du tout premier ordre, un fils de saint Benoît, dom Augustin Calmet (1672-1757), dont Voltaire – qui séjourna trois semaines en son abbaye de Senones – possédait et avait annoté presque tous les livres. Doté d’une phénoménale capacité de travail et d’une érudition panoramique, dom Calmet avait tout lu, des textes bibliques (naturellement) aux rapports les plus récents qui, nominalement signés par des médecins et des officiers, offraient pourtant, en apparence, toutes les garanties de l’authenticité. Dom Calmet ne s’est d’ailleurs pas privé de rapprocher le « vampirisme » de la chasse aux sorcières : « Sur la fin du siècle seizième et au commencement du dix-septième, on ne parlait en Lorraine que de sorciers et de sorcières. Il n’en est plus question depuis longtemps » (Traité sur les Apparitions, éd. de 1751, p.IV). Mais, dans la première édition de son livre, attentif à rassembler toute la matière disponible, l’abbé de Senones n’avait pas conclu aussi vigoureusement qu’il aurait dû le faire à l’inexistence des vampires et un malentendu s’installa (Voltaire ne fit rien pour le dissiper). Les éditions suivantes du Traité sur les Apparitions permirent une mise au point, soulignant que les vampires n’existaient pas parce que, dans le cadre de pensée qui est celui de dom Calmet (la théologie catholique), ils n’ont pas le droit d’exister, les rapports venus d’Europe de l’Est ressemblant à des parodies grotesques de la résurrection des corps (un article central du dogme chrétien). Compte-tenu de l’affaiblissement de ce cadre de pensée, il n’est peut-être pas étonnant que les vampires (auxquels plus personne ne croyait après 1760) soient revenus au siècle suivant grâce à la fiction romanesque. Il n’en reste pas moins que le vampire est un être de discours, qui n’existe que par ce qu’on raconte à son sujet, comme le fameux couteau de Lichtenberg.

Stella Louis a lu et utilisé la plupart des textes connus (mais elle ignore l’importante conférence, restée manuscrite et imprimée en 2015, que Guillaume Rey, médecin lyonnais, prononça en 1737 devant l’Académie de Lyon), comme elle ignore la défense (inédite jusqu’en 2008) de dom Calmet composée par un de ses confrères, dom Cathelinot, et d’autres publications encore. Il est dommage que ce livre, qui n’est pas dépourvu de qualités et contient ça et là des remarques neuves, n’ait pas été relu d’assez près (y compris par le directeur de thèse, puisqu’il s’agit sans doute d’une thèse), ce qui eût permis d’éliminer redites, tautologies, naïvetés, coquilles (voire franches incorrections grammaticales) et phrases tout droit sorties d’un exposé de collégien.

 

Gilles Banderier

 

Stella Louis possède un doctorat en littérature française et comparée.

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A propos du rédacteur

Gilles Banderier

 

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Docteur ès-lettres, coéditeur de La Lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (préface de Marc Fumaroli, de l’Académie française), Gilles Banderier s’intéresse aux rapports entre littérature, théologie et histoire des idées. Dernier ouvrage publié : Les Vampires. Aux origines du mythe (2015).