Coup de sang, Enrique Serna
Coup de sang (La sangre erguida), traduit de l’espagnol (Mexique) par François Gaudry, avril 2013, 335 pages, 20 €
Ecrivain(s): Enrique Serna Edition: Métailié
Bulmaro Diaz, alias Amador Bravo, a pour habitude de dialoguer avec son sexe. Le roman débute sur une période de relations tendues entre eux deux. Bulmaro en effet accuse son alter ego d’avoir fait preuve d’une concupiscence scandaleusement égocentrique lorsqu’il l’a obligé à quitter sa famille et à abandonner l’affaire prospère de mécanique générale qu’il possédait à Vera Cruz pour suivre à Barcelone Romalia, une chanteuse peu talentueuse mais fort voluptueuse :
« Ce que je ne te pardonne pas, c’est de m’avoir fait céder quand Romalia m’a annoncé à grand renfort de trompettes qu’on venait de lui proposer de chanter comme soliste dans un club de salsa à Barcelone ».
Juan Luis Kerlow a lâché ses études de biomédecine au grand dam de sa famille d’intellectuels pour faire une brillante carrière d’acteur du porno à Los Angeles. Il entre en scène en ce roman au moment où les producteurs, à la recherche de nouveaux talents, commencent à le laisser sur la touche. Par défaut, il accepte un contrat médiocre de cinq films sur un an à Barcelone.
« L’offre financière n’était pas très tentante : la moitié de ce qu’il gagnait pour un seul film pendant ses années de gloire… ».
Ferràn Miralles est cadre dans « une des agences immobilières les plus réputées de Barcelone ». Quadragénaire considéré comme très séduisant, il est impuissant depuis une première expérience sexuelle ratée avec une copine de lycée qui l’a dès le lendemain ridiculisé devant toute l’école.
« Je n’étais pas un petit vieux avec des problèmes de voies urinaires : j’étais un névrosé impuissant, c’est-à-dire une victime de ses propres démons ».
On l’aura compris, la vie sexuelle de ces trois hommes converge vers Barcelone, où ils vont se rencontrer et partager une triple descente en enfer.
La construction du roman alterne de façon régulière les épisodes de la vie de chacun des trois personnages, sous la forme de narration à la troisième personne pour ce qui concerne Bulmaro et Juan Luis alors que Ferràn se raconte, du fond d’une cellule de prison, à son médecin.
L’auteur entretenant soigneusement le suspense, ne donnant aucun indice qui permette de comprendre les raisons pour lesquelles ces trois destins se déroulent en parallèle, le lecteur, perplexe, persuadé que, par convention littéraire, l’intersection narrative finira par se produire, est captif, pris dans le courant, poussé en avant.
Sans dévoiler les ressorts de cette triple intrigue, on peut souligner que l’art de l’auteur se fonde sur un artifice astucieux : Juan Luis, le champion de la copulation à répétition, perd d’un coup toute capacité en la matière au moment où Ferràn, l’inhibé chronique, trouve tout aussi soudainement le moyen de se transformer à volonté en un fougueux étalon.
Toute construction en chiasme tourne autour d’un axe : ce rôle central de pivot est tenu par Bulmaro qui, pour subvenir aux besoins de sa chanteuse, est contraint de se livrer à des trafics illicites.
L’expression crue (sans obscénité), la récurrence et la précision des scènes d’accouplement (sans pornographie), l’humour omniprésent, décapant (sans vulgarité), la violence de nombreux dialogues (sans outrance), le vaudeville (réaliste) caractérisent en surface ce roman tragi-comique, et expriment en profondeur la piètre opinion que semble avoir l’auteur d’une société où la puissance est indissociable de l’argent, où la richesse matérielle est considérée comme unique condition au bonheur, où prime le souci, pour chaque individu, de satisfaire son SURMOI, ses instincts, ses pulsions, ses désirs, son envie d’assurer son pouvoir sur autrui.
Patryck Froissart
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