cOsmOésia, Christophe Dekerpel, par Murielle Compère-Demarcy
cOsmOésia, Christophe Dekerpel, éd. La Chouette imprévue, octobre 2018, 59 pages, 14 €
Origine de l’Univers & Origine de l’Un/de l’Être au singulier, dans sa Singularité : où se situe l’Un, par rapport à l’Autre ? Se rejoignent-ils ? Lors de quel « voyage, hors du temps » ? Soumis à la gravitation, pesant (« Gravitation fois mille ~ G X 1000/ Pesanteur zéro ~ P=0 »), être « humanimal », au cœur de l’univers, « Suis-je ici ? Suis-je ailleurs ? Ici et ailleurs/ simultanément ? »… Le nouveau livre de Christophe Dekerpel qui avait signé précédemment De corps, encore, aux éditions Corps Puce, nous assigne dans cOsmOésiaà notre errance constitutionnelle d’être humain en quête d’une place où trouver corps, existence, au sein de l’Univers infini.
Les questions à l’origine de la réflexion philosophique sont posées dès le départ de ces poèmes métaphysiques : d’où venons-nous, qui sommes-nous, où allons-nous (« Que deviennent les choses quand elles s’érodent ?/ Rejoignent-elles, infiniment petites, l’univers, dans/ leurs versions ioniques, subatomiques ? »). Une sorte de « How to be or how not to be » se décline ici, nous replongeant dans un questionnement inhérent à la condition humaine dès qu’elle s’interroge sur sa géolocalisation dans l’espace-temps (« multiplicité/ multiplicitêtre ») devenu ici espace-temps sidéral.
Nous retrouvons la quête d’un corps qui se cherche, fondu dans l’océan du Vivre où les vivants se rencontrent, suivant une trajectoire aléatoire aimantée par son tracé organisé, à la fois hasardeux et plus ou moins déterminé selon les espèces, dans l’Infini vertigineux d’un Univers qui nous contient en même temps que nous intégrons ses forces et ses éléments pour survivre. En écrire les sinuosités, les parallèles, les turbulences, projette le Poème sur des pages où la linéarité se conjugue au chaos pour en brasser et tenter d’en circonscrire les lignes troublées, troublantes, lesquelles fusent, se rapprochent, s’éloignent, se touchent ou se tiennent à distance :
« Qu’en est-il de mon corps qui se perd et se fatigue
En chemin ? Ces bouts de peau, de cheveu, de barbe
Que mon corps abandonne, dont il se déleste au gré
Des années, au gré du vent, au gré des vagues,
Voguent-ils vers ce lieu Univers ? »
Dimension cosmique et métaphysique d’un même univers se cherchent en ces lignes en perpétuelle mouvance et en résonance les unes avec les autres. Des lignes qui tentent de retranscrire et circonscrire dans l’espace délimité du texte et le dynamisme multidirectionnel des traits/lettres/figures versifiés – par l’effet micrOscopique / macrOcospique, prismatique, des mots – les ondes d’un Univers traversant/fulgurant le Poème d’un Je qui nage « dans l’Océan Galactique ».
L’Univers prend corps en la singularité du poète qui lui-même apprivoise l’« indivisible » pour rejoindre l’Autre – l’étoile de chair dans le ciel intime d’une osmose universelle ; qui lui-même se donne quand l’Univers « porte les astres » et les lui « offre en cadeau », et rejoint l’Autre dans un don de soi où, « mobile vertigineux », il navigue sur « le fleuve espace-temps », perd ses limites dans « cetunivers que(l’Autre) illumine ». L’Autre : un astre vivant, de même que Je, astre lui-même, chacun Un, unis, parfois réunis, dans le grand Tout.
Le lyrisme, d’ordinaire registre de la quête/perte amoureuse (le poète fait ici une déclaration amoureuse à l’univers qui le porte, le contient) est ici abandonné au profit d’un chant cosmique célébrant la fusion créatrice entre un individu et l’Univers – osmose opérée via les forces invisibles mais sensibles de ce qui relie l’Etre à l’Univers, l’Un dans le Tout, « le multiplicitêtre » de l’individu au cOsmOésia– par la grâce mystérieuse du courant des mots diffusés en ondes magnétiques.
Le poète « s’appelle au-delà du temps,/au-delà du vide » pour énoncer, « bouteille à la mergalactique », son poème-univers dans l’infini de la page reliée au temps créatif dans les pleins et déliés, la danse galactique, des mots dont le Sens dessine la trajectoire/le cycle sidéral(e). L’apparition d’un calligramme ici et là surgit parfois telle une étoile filante reconfigurant l’espace de la Voie lactée. L’être en sa singularité, en son unicité rejoint l’universel, rassemble en sa totalité, partie intégrante du Tout, l’« océan d’espace, d’étoiles, de courbes et de poussières,
« *je* … * ..* .. *** nous**..** glissons* …
… ** * ….. .. … …. *** ** .. **** .. *** *** **
… *** ** …. *** ……… **** … . . .. ….
….. ** ** ….. **** *** .. …….* ……. **** .
…..*** … ** … **** …… »
« Je, nous, suis, sommes » nageant dans le hors-temps galactique, communicants télé-portés
« Chrysoaras divines, célestes et vagabondes.
Parcouru(e)(s) du frisson de nouvelles lois, nageant
dans l’Océan Galactique : Ombres Grandissantes,
OvOïdes maGistrales, Obélisques bételGeuses, Ocres et
Grenats, cOsmOs GlOrifié, tu transformes les corps en
Atomes et les disperses, les façonnes et les avales en ton
sein, infiniment.
Luminescences électrisées, traversant les lois, je suis,
Nous sommes l’Origine, la Fin et le Début.
L’Onyx, le Félin et le Divin. L’Onde, la Femme et le
Destin. L’Oiseau, le Faon, le Dématérialisé ; ondes pro-
Jetées, envahissant l’espace, vibrant de ton silence qui fait
Ce que je, suis, nous, sommes.
Vacarme résonnant, grincement des astres, de tes soleils
Eblouissants, qui font ce que je, nous, suis, sommes »
Météorite en chair et en os, le poète se désintègre dans l’espace chronologique, en quête de « l’Un, théorie du tout » où retrouver l’éternité dans l’univers intégré/intégral. Une totalité « cosmoéthique »
« Nous retrouvons-nous tous en ce point, agrégés,
unis, ne formant qu’Un, théorie du tout ?
Moi, individu, désintégré demain, rejoindrai-je
Fasciné, cet indivisible, ce nouveau monde ?
Regoûterai-je alors aux lèvres perdues qui m’ont
baisé autrefois ? Ressentirai-je à nouveau sur mes
pieds nus la caresse de l’eau salée d’une vague
réminiscence lointaine, tenu par les mains
paternelles ? La chaleur humide d’une lèche canine,
animal domestique ? Revivrai-je les mouvements du
bercement de l’enfant au creux des bras d’une mère
aimante ? L’étreinte d’un frère, d’une sœur ?
Au fond de l’Univers, où je ne serai plus qu’Un et
partout à la fois, traversé par cette nouvelle vie,
dans cette immense ville,
dans cette immensité, dans cette Uni-Cité ».
Jusqu’aux confins de l’Univers où « Apaisé/Désagrégé/Nébulisé »
« un jour ou l’autre
jour de fission
rejoindre ce Tout
molécules en voyage
au-delà des sphères
au-delà des astres
vers l’infini,
Grand »
Poème en constellations, écrit en symphonie stellaire sur le palimpseste des textes fondateurs, ode panthéiste à l’Univers retrouvé, cOsmOésia réengendre le « Fils de l’Homme » « au gré du vent cosmique », pour un retour aux sources dans la matrice du Poème-Univers fait chair. À la recherche du Père (« Nu, seul et livide,dad (…) /Viens à moi, maintenant, toujours »), à la recherche de l’“Alter-Ega” (une planète “sœur éloignée”, “Kepler 452-b”, “un double sidéral”, parmi d’autres planètes-sœurs : “Saturne en pendentif”, Mars “la Géante Rouge”…), à la recherche du “Je”, du “nous tous” unis “dans l’Un conscient”, dans “l’Un qui (nous) pense”, “pensés, imaginés, nés d’un rêve” », où le Destin nous génère, infiniment. Depuis le chaos de l’Organique-Vivant/de l’Univers-Océan où l’Un dresse sa « carcasse cathédrale » dans l’étreinte du Grand-Tout, jusqu’au chaotique Poème-Univers pour que les rencontres, les frictions, les trous noirs, les vertiges continuent de filer nos traversées d’étoiles filantes, dans le souffle retenu de nos éclipses, pulvérisées par le Phoenix-Poème-Matrix cOsmOésia.
Murielle Compère-Demarcy
Christophe Dekerpel a déjà publié De corps, encore (poèmes-récits) aux éditions Corps Puce. Il est aujourd’hui Écrivain public, biographe, rédacteur et correspondant de presse.
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