Correspondance avec l’ennemi, Christophe Esnault
Correspondance avec l’ennemi, éd. Les doigts dans la prose, janvier 2015, 149 pages, 16 €
Ecrivain(s): Christophe Esnault
Avant-propos : Correspondance avec l’ennemi est le huitième ouvrage des Éditions Les doigts dans la prose. Mention spéciale pour le graphisme & le design de la 1ère et 4ème de couverture, dont la présentation en avant-dernière page vaut le coup d’œil & de lecture : le livre a été composé au Mans en Titillium par Anne Milet, D.A. de l’Agence Atribu, qui a tiré à boulets rouges sur la couverture, avant d’en confier l’impression à L’Imprimerie Graphique de l’Ouest, sise Chemin des Amours au Poiré-sur-Vie (Vendée), pour démultiplication à 550 ex., sur Munken white print de 80 gr pour l’intérieur, carte Arktika une face mate de 250 gr pour la couverture illuminée par un Pantone rouge sang 485 C, rehaussé d’une touche de noir intense sous son pelliculage mat, la première quinzaine du mois de décembre 2014 ; le tout constituant l’édition originale. L’impression d’image 3D majore le look vraiment réussi de ce bel Objet-Livre.
Le recueil : On me citera en note de bas de page dans une thèse consacrée à la bienséance dans la littérature épistolaire contemporaine, commente Esnault avec humour dans l’une de ses lettres (p.75). Série de lettres explosives / assassines adressées à des cibles plus ou moins bien connues du public (écrivains, personnalités publiques, politiques, marques) Correspondance avec l’ennemi signe dans la bibliographie de Christophe Esmault un livre décapant à l’humour parfois très trash – parfois franchement mal poli un brin indécent (cf. la Lettre aux Poilus) – désopilant ! De la dérision, beaucoup ; de l’autodérision également au passage pour se moquer de soi comme on se moque à l’encontre des autres ; de l’invective déployée jouant de la caricature de mauvaise foi pour provoquer le rire (un truc balaise, p.69). Rire déclenché parfois jaune, on l’imagine, sur la face de certaines cibles. L’abus de mauvaise foi – de bon aloi – en semant la caricature et en déclenchant le rire chez le lecteur, au pays d’Esnault comme un peu au pays d’un Voltaire, d’un Cioran, d’un Beckett dont le titre parodié en exergue du livre percute : Stallone meurt avec, pour citation : En sortant de chez moi pour aller me suicider, de sublimes crétins ont dévié ma trajectoire et m’ont roulé par terre : j’étais devenu le plus hilare des hommes.
Tout l’univers d’Esnault est dans ces mots en exergue : son style, sa violence au sens de ce qui provoque chez l’autre immanquablement une réaction. « On », plus proche du commun des mortels, aurait pu écrire : En sortant de chez moi pour aller me promener (…). Mais Christophe Esnault sort plutôt de chez lui pour aller se suicider et ne doit rien au commun des mortels. On, plus anodin, aurait pu écrire : En sortant de chez moi pour aller me promener, de sublimes créatures ont dérouté ma trajectoire et m’ont roulé dans la farine : j’étais devenu le plus fieffé cocu / coquin des hommes. Mais Esnault préfère les sublimes crétins aux sublimes créatures – préfère celles & ceux qui dévient sa trajectoire – on imagine ses inclinations & ses inclinaisons vers le genre des déviants/déjantés – préfèreêtre roulé par terre par les meilleures espèces rampantes traînant leur sombre carcasse sur cette terre brouillardeuse, au remugle d’une mixité douteuse – et devenir le plus hilare des hommes, afin de mieux rire, pour mieux en rire encore…
Voltaire, Cioran, Beckett viennent en références au lecteur pour la veine, la tonalité, le registre, le genre de l’écriture ici pratiquée. Mais d’autres auteurs pourront surgir de sa mémoire, en fonction de sa culture livresque, de son tour d’esprit et de sa sensibilité – là n’est peut-être pas l’essentiel. Pourquoi ne pas penser aussi au Satyricon de Pétrone pour l’évocation d’amours illicites (anachronisme), au Camus de L’étranger ou du Premier Homme pour ce sentiment de l’Absurde vrillé aux chevilles du quotidien, à Beigbeder, au sublime 4.48 Psychose de Sarah Kane, à…
Correspondance avec l’ennemi fait l’effet d’une bombe prête à exploser, d’un arsenal de grenades à dégoupiller. L’enjeu n’est pas anodin dans une époque où les cibles sont plus violemment / plus directement touchées. Mais ici le terrain de combat est celui d’une écriture attaquant de front, avec cependant la distance, la force de l’humour à froid et de l’ironie, des têtes à faire tomber de leur autel érigé comme une imposture. Des têtes ennemies descendues (de leur piédestal) mais sans haine. On serait plutôt a contrario dans l’état d’esprit de la devise « Qui aime bien châtie bien ».
Tombent les masques, des cibles auréolées par un succès en droit d’être provisoirement ou durablement suspecté. Des personnalités publiques (politiques, journalistes, éditeurs, auteurs, tel directeur de publication grelot de ligne, libraires, Docteurs – « du » tiers-payant, de la CMU ou les autres –, Banquiers, directeurs de revues, etc.) ; des lieux ou références incontestés reconnus comme tels antres paradisiaques de la vraie Culture à consommer / à diffuser (magazines, journal, médiathèques, Arte,Centre d’Étude et de Conservation des Œufs et du Sperme…, Télérama (aux amis du Pape), Monde des Livres, France Loisirs, managers de Centre de Formation pour futurs maîtres, etc.) ; entreprises de tous genres et variés marquées à l’encre sympathique et indélébile sur les enseignes de nos territoires de consommation (Leroy Merlin, EDF, Interflora, Leader Price, McDonald’s, Darty, Moulinex, SNCF, etc.) ; des establishment au décor salutaire de maladies préméditées (Sanatorium Camel) ; des marques (Butane, Manix, Colgate, Dim, Duracell, Tefal, Barilla, Findus, etc.) ; des hauts lieux de gourmandises (Carambar, BN, Nutella, Coca-Cola, Nestlé, Mont-Blanc, Mamie Nova, etc.). Où caser d’ailleurs Pôle Emploi, incontournable : dans quel espace d’exploitation ou d’exploration (de l’homme par l’homme ?) (ndla). Esnault n’épargne rien ni personne. Pas même le Chef de l’État (Très-estimé François Hollande, p.83). Sans oublier Dieu, la meilleure cible, la plus belle tête (p.36-37 ; au seul index numérique : 6 : 600 euros : Voir Dieu).
L’originalité de Correspondance avec l’ennemi est probablement de ne pas faire dans le détail et de saper aux fondements des instances / des institutions dans le moindre ver attaquant le fruit – sachant que le fruit est dorénavant déjà dans le ver programmé pour le meilleur d’un monde à l’obsolescence préméditée. La caricature atteint son objectif en approchant sans pénurie d’offre par rapport à la demande la loupe d’un auteur téméraire dans l’offensive de ses lettres ouvertes, dont la verve satirique et sarcastique touche au près la sensibilité des lecteurs jusqu’à provoquer le Rire. Car là réside bien l’essentiel de cette correspondance : écrire et donner à lire des lettres offertes à l’envoyeur et au lecteur comme des prétextes à RIRE. J’écris des lettres assassines, note Christophe Esnault. Sa Correspondanceest une arme, désarmant effrontément et sûrement les pontes d’une Farce humaine où tombent dans une danse jubilatoire les plus belles instances, les plus hautes présences : baudruches/poupées dégonflées de leurs fastueuses ou avantageux apparats/apparences. Qui a dit que le rire n’était pas salutaire ? Une blessure ouverte pour mieux rire de nos certitudes & secrets petits travers, petites postures de grands ridicules démantelées/dénoncées. Correspondance avec l’ennemi : échange épistolaire dans l’espace ouvert du Dire & du Rire.
Une véritable fronde littéraire contre les mous flonflons du bal littéraire/sociétal général – à l’instar du catalogue de l’éditeur de Correspondance avec l’ennemi. Âmes insensibles à l’humour décalé, façon Esnault, s’abstenir ! On avance au pays trash & d’insolence roborative de Christophe Esnault comme armé d’un désespoir jubilatoire pour remuer un monde reformé « les doigts dans la prose »…
Laissons les derniers mots à la première lettre de la Correspondance : incipit prometteur – promesse tenue ! – des lettres assassines & explosives qui le suivent :
Butane,
Tout ça c’est de votre faute. Je suis allé chez Carrefour pour chercher une bouteille de gaz et y en avait plus. Le gars m’a conseillé de tenter ma chance chez Leroy Merlin. J’étais énervé, je roulais vite. J’ai pas vu la gamine débouler sur le passage clouté. Comme elle est morte sur le coup, j’ai pas trouvé utile de m’attarder. Y avait plus rien à faire pour elle. Chez Leroy Merlin, ils n’avaient pas été livrés non plus. Je suis reparti avec deux petites bouteilles pour mon réchaud en attendant que vous vous sortiez les doigts du cul.
Cuisiner dans ces conditions un sandre au beurre blanc, c’est dead de chez dead. J’avais fait une promesse à Sylviane (elle adore le poisson). On a donc été au resto et dans la conversation, elle m’a dit : « T’as entendu à la radio le salaud qui a écrasé une petite et s’est barré ? » j’ai répondu : « Faut rouvrir les chambres à gaz rien que pour lui ». Sylviane n’était pas vraiment plus modérée que moi à propos du tueur. En rentrant chez moi, j’ai pas réussi à la baiser, j’étais pas dans mon assiette. Elle était super vexée que je ne la désire pas et que même en me suçant j’ai n’ai aucune réaction ? J’ai répliqué que c’était à cause des salopards de chez Butane ! Sylviane a lâché un pet d’étonnement et c’en a été trop pour un seul homme. Je l’ai étranglée. J’ai pas hyper faim. De toute façon, ça va pas être pratique de la cuisiner sur le réchaud.
Livrez dans les temps, putain, merde !
C.E.
Christophe Esnault flingue à boulets rouges & à bout portant avec des balles à blanc. C’est flinguant, renversant, décapant, fringant. Une décharge rafraîchissante qui ressuscite des mythes ; dont on sort meilleurs vivants, revivifiés. Jubilatoire, irrésistible !
Murielle Compère-Demarcy
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