Corps de fille, corps de femme, Collectif (par Yasmina Mahdi)
Corps de fille, corps de femme, Collectif, Voix d’écrivaines francophones, en partenariat avec le PEP, éd. des femmes Antoinette Fouque, mars 2023, 192 pages, 15 €
Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque
La fabrication du corps
Cet ouvrage collectif renferme quinze textes d’autrices francophones, ayant pour sujet le corps féminin, envisagé comme véhicule de fantasmes, soumis à des dressages et des présupposés archaïques et contraignants, corps sous tutelle. Les questions de l’identité sociale et de l’identité sexuelles sont posées par des romancières, universitaires, poétesses et essayistes, regroupées au sein du Parlement des écrivaines francophones (PEP), qui ont chacune rendu une nouvelle courte au sujet de la fabrication de la féminité : Marie-Rose Abomo-Maurin ; Emna Belhaj Yahia ; Anissa Bellefqih ; Sophie Bessis ; Bettina de Cosnac ; Suzanne Dracius ; Alicia Dujovne Ortiz ; Sedef Ecer ; Lise Gauvin ; Viktor Lazlo ; Sylvie Le Clech ; Danielle Michel-Chich ; Madeleine Monette ; Cécile Oumhani ; Fawzia Zouari.
Dans l’une des nouvelles, une écolière africaine tente d’expurger l’horreur des abus de son corps profané. Ainsi, la jeune fille devient vigilante, sans cesse en alerte, une gardienne de sa propre personne : « Juliette était à l’affût, comme un animal qui ne veut pas se faire prendre par un nouvel idiot-bourreau » (Abomo-Maurin). Puis, ailleurs, l’on suit la transformation d’une jeune tunisienne, qui s’opère dans un silence massif, entouré de honte, de pudeur excessive et de peur, et l’on est confronté au racisme d’une professeure de danse. L’on rencontre, au fil des récits, la perte progressive d’autonomie durant le mariage, les prises de pouvoir, les chantages, l’abandon, la répudiation. L’une des autrices s’attache particulièrement à une femme errante dans Paris, déchue, qui « ne sait pas la langue, ne connaît personne dans cette ville » (Bessis). Elle n’a ni prénom ni nom, montagnarde berbère, perdue au milieu de l’agitation, l’agressivité et l’indifférence de la foule.
Le thème commun, « Comment je suis devenue une fille », reste une interrogation centrale et ce, depuis la métisse qui se « marronne » et s’interroge, tout en les prenant à contre-pied, sur les acceptions (racistes) de chabine – dont le sens originel vient d’un hybride ovin/caprin, nom vulgaire d’hybrides du bouc et de la brebis –, et de kalazaza (Dracius) – beaucoup plus péjoratif, kal signifiant sexe masculin et a-zaza une envie urgente à satisfaire –, jusqu’aux anges célestes entraperçus par un hublot, dont le sexe est à déterminer : neutre, masculin ou féminin ? Des histoires distinctes se suivent, restituant l’ambivalence du statut au féminin, généalogie jaillissant souvent de l’enfance, parfois sur fond d’images précieuses : « Mais les plantes brillent comme de l’or et moi je suis Dorothy Lamour dans le film où elle est dans une forêt comme celle-ci » (Dujovne Ortiz), ou encore : « Les vêtements bleus des deux femmes se gonflaient sous la brise, la lumière du soleil déjà haut passait à travers les étoffes, elles donnaient au loin l’image de deux voiliers » (Le Clech).
La fillette-poupée, l’enfant star divinisée, les jeunes filles choyées ou au contraire écrasées par le poids de la morbidité des traditions et des aliénations familiales, la fillette en butte aux mauvais traitements, ces typologies induisent des « correspondances entre certains types morphologiques et certaines constitutions mentales (Porot, 1960), façonnent progressivement des syndromes, voire des pathologies.
La modélisation, la fabrication des corps féminins sont également relayées par des femmes conservatrices – le corps traditionnellement voué au mariage, le sexe à la parturition –, ou selon des phénomènes addictifs esthétisants largement répandus, voire chez Nelly Arcan, le corps éternellement jeune, « bimboïfiée » ; le corps « marchandisé », prostitué… Dans Corps de fille, corps de femme, des corps de fiction cohabitent avec des corps meurtris, des corps en gestation, des corps exhibés ou prohibés, masqués ou amputés, des corps fantomatiques. Et le regard en miroir que renvoient l’autre, les autres, les inconnus, est un miroir aveugle, une glace sans tain.
Yasmina Mahdi
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